Cette terre promise, roman inédit d’Erich Maria Remarque, décrit les tourments de l’exil forcé dans le New York de 1944. Une comédie humaine, drôle et désespérée, qui rend hommage aux apatrides.
La publication de Cette terre promise, ultime roman d’Erich Maria Remarque (1898-1970), rappelle que son auteur ne fut pas, loin s’en faut, l’écrivain d’un seul livre, l’écrasant A l’ouest rien de nouveau, indéfectible best-seller depuis sa publication en 1929. Suite à ce manifeste pacifiste, Remarque fut contraint à l’exil par les nazis. C’est le motif de ce roman d’époque, qui reste d’actualité.
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Le narrateur banni se nomme Ludwig Sommer. En allemand, “Sommer” veut dire “été”. Un drôle d’été qui débute en 1944 au large de New York, sur l’île d’Ellis Island, où Sommer, émigrant rescapé des persécutions antisémites, est en attente d’un visa. “La ville, qui était là si proche et si inaccessible, devenait un supplice : elle tourmentait, attirait, se moquait, promettait sans rien tenir.”
Cette distance détermine la distanciation du récit. Lorsque Sommer foule enfin la “terre promise”, il est comme au paradis, s’émerveillant des abondances de toutes sortes ou s’extasiant des nuances de la lumière à Central Park. Mais il va expérimenter que la liberté américaine est aussi un “monstre nébuleux” qui le surveille : juif peut-être mais surtout allemand, ce qui n’était pas bien vu par les New-Yorkais à l’été 44.
Roman inachevé
Sommer emménage dans un hôtel bancal tenu par un Russe interlope qui soigne le blues de ses pensionnaires (la plus part eux aussi juifs exilés) à grand renfort de vodka et de somnifères. On trouve là Lachmann, amoureux pathologique, la féerique Maria Fiola, mannequin italo-russe, ou encore Jessie, ex-reine de la scène berlinoise et championne de l’apfelstrudel, devenue mère protectrice de tout ce que New York compte de paumés de la vieille Europe. Décrite avec délice et tendresse, cette communauté d’apatrides cocasses est comme une comédie de Lubitsch : situations maboules et dialogues loufoques, quel que soit le désespoir de fond et les ambiguïtés de la détresse.
Sommer, qui a vécu le pire (la torture de son père par un SS), est aussi un intrigant imposteur. Le roman étant inachevé, son dénouement est flottant. Les notes laissées par Remarque hésitent entre deux avenirs pour son héros : la fuite ou le suicide. Cette incertitude devient notre inquiétude à découvrir les aphorismes de monsieur Hirsch, un des interlocuteurs de Sommer, qui philosophe que le pire nazisme est celui qui sommeille en tout homme, “même si ça porte souvent un autre nom”.
Cette terre promise (Stock), traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, 486 pages, 23 €
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