Du hit-parade à l’antimanuel en passant par l’autoportrait, l’exercice d’admiration dans tous ses états.
Comme la bar-mitsva, ou feu le service militaire, il est un rituel de passage auquel l’écrivain, le vrai, doit se soumettre : écrire sur d’autres écrivains. Certains l’ont fait avec succès (de Gracq à Sagan), alors pourquoi pas lui ? Le point épineux de l’affaire réside dans le timing : ni trop tôt – qui va s’intéresser aux fétiches littéraires d’un postado ayant vendu 43 exemplaires de son premier livre ? -, ni trop tard – au risque de signer un essai intitulé de force par son éditeur « La Fureur de lire », ou encore « La Sainte Odeur de la littérature » et d’être par conséquent confondu avec Jean d’Ormesson.
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L’adieu au livre imprimé de Beigbeder
Expression de la maturité, dégonflage de l’ego : de fait, il n’est pas anodin que le premier des trois romanciers à ouvrir cette parenthèse enchantée jouisse d’une reconnaissance médiatique XXL.
Même si Premier bilan après l’apocalypse n’est pas une surprise venant d’un auteur qui s’est déjà frotté à l’exercice (Dernier inventaire avant liquidation) et s’échine, par ailleurs, à équilibrer dans son CV egotrip et inlassable curiosité des autres. Dans ce « hit-parade intime », Frédéric Beigbeder nous livre ses cent coups de coeur du siècle dernier – sorte d’adieu sentimental au livre imprimé ployant sous le « bourreau numérique ».
Une short list, donc, où tous les dandys se sont donné rendez-vous (de Fitzgerald à Jean-Jacques Schuhl), plus un top 3 chic (Ellis, Gide, Nizon). Beigbeder sait parfois convaincre, à coups de formules fusant plus vite qu’une ligne de C dans une fosse nasale (pardon), capable hélas aussi de tout, c’est-à-dire d’enthousiasme forcé ou simplement bâclé sur un coin de table.
Bégaudeau règle ses comptes
Après l’éloge comme contrepoison (narcissique), le voici érigé en art de la riposte. François Bégaudeau met une fessée aux stéréotypes : parmi les antipréceptes drolatiques que dresse cet abécédaire, le « vrai » écrivain se doit d’être pauvre, maudit, hanté, visionnaire, dénué de corps, sans oublier de vivre planqué (éviter les plateaux télé). Sur la forme, nombre de passages sont à hurler de rire ; sur le fond, il ne fait pas de doute que l’auteur d’Entre les murs règle ses comptes.
Distribuant les claques, des « jurés octogénaires du Goncourt » à la scène littéraire, « cette noble farce », l’auteur parfois écorché par la critique renvoie l’ascenseur (« les journalistes sont les plus prompts à repérer les tendances. Dans la mesure où le temps leur manque pour lire les oeuvres, c’est leur seule chance d’en parler quand même »). On pourrait faire la gueule, mais non. Car cet essai n’épargne pas même les écrivains, fortiches dans l’élaboration de leur propre mythe (« j’ai toujours rêvé d’écrire », etc.)
Arnaud Cathrine paie son tribut aux aînés
A l’inverse de Bégaudeau, Arnaud Cathrine se voue à cette mythologie de l’écrivain envahi de solitude et de fantômes, de passions désaxées, de chagrins contractés en ville et cuvés en bord de mer. Nos vies romancées atteste d’un rapport sacralisé à la littérature, pris en charge par une plume précieuse ou nerveuse et abstraite. Pour dire quoi ? Sa reconnaissance à six livres, six auteurs (Carson McCullers, Sagan, Barthes, Fritz Zorn, Sarah Kane et Jean Rhys), sur le terrain, cette fois, de l’autoportrait en creux.
Moins chien fou que les deux autres, et plus intimement engagé, Cathrine paie de manière touchante son tribut aux aînés, et à ses doubles romanesques car « une fois réinventé dans le miroir, on a peut-être une chance de tenter le coup de l’unique (…), et d’accéder, par défaut, un heureux défaut, à ce qui ne ressemble qu’à nous-même ».
Emily Barnett
Premier bilan après l’apocalypse de Frédéric Beigbeder (Grasset), 432 p., 20,50 euros Tu seras écrivain mon fils de François Bégaudeau (Bréal), 128 p., 14,90 euros Nos vies romancées d’Arnaud Cathrine (Stock), 216 p., 18,50 euros
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