Nouvelle variation sur le thème de l’exil et le sentiment d’être étranger, par l’Américain Dinaw Mengestu. Un roman mélancolique et lumineux.
« Les belles choses que porte le ciel, Ce qu’on peut lire dans l’air… » Des titres aériens, en légère suspension, à l’image des personnages qui peuplent l’univers romanesque de Dinaw Mengestu, des êtres que rien n’arrime vraiment à la vie, dans un état de flottement permanent.
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Dans son premier roman, Les belles choses que porte le ciel, l’écrivain américain, originaire d’Ethiopie et aujourd’hui installé à Paris, auscultait avec une grâce mélancolique l’exil, le sentiment d’être étranger et l’érosion du rêve américain à travers le parcours de son héros, Sepha, un jeune Ethiopien débarqué dans la banlieue de Washington. Avec Ce qu’on peut lire dans l’air, l’écrivain reprend les mêmes thèmes mais leur donne une résonance encore plus intime, en distillant des détails qui font écho à sa propre histoire : le père qui fuit Addis-Abeba dans les années 70 au moment de la révolution éthiopienne, l’installation à Peoria, une ville du Midwest.
C’est à Peoria que débute le livre. Yosef et Mariam ont beau être mariés, ils sont pourtant de parfaits inconnus l’un pour l’autre. Yosef, opposant au régime éthiopien, est arrivé trois ans plus tôt aux Etats-Unis. Mariam vient de le rejoindre. A bord d’une Monte Carlo rouge, le couple décide de partir en vacances à Nashville, une lune de miel à retardement, prélude catastrophique à des années de cauchemar conjugal, de disputes violentes, de coups et de fuites avortées.
Une trentaine d’années plus tard, Jonas, leur fils et narrateur du roman, voit lui aussi son mariage sombrer, incapable de construire quoi que ce soit avec sa femme Angela, elle-même lestée d’un passé familial douloureux. Jonas, lui, a décidé de rompre totalement avec ses origines. Jusqu’à la mort de son père. Il refait alors le trajet de ses parents entre Peoria et Nashville. Peu à peu, il recrée leur histoire pour enfin se l’approprier, combler la distance entre eux et lui.
Roman sensible et lumineux sur le déracinement, Ce qu’on peut lire dans l’air est aussi une méditation poétique sur le pouvoir des mots et de la fiction. La langue comme origine du monde, le verbe au commencement de tout. Jonas ne cesse d’imaginer des récits. Travailleur social dans un centre d’accueil pour immigrés, il romance les histoires des demandeurs d’asile pour augmenter leurs chances d’obtenir des papiers.
Devenu professeur d’anglais dans un lycée huppé, il transforme en épopée l’histoire de son père, sa fuite d’Ethiopie, son passage par le Soudan et sa traversée de l’Atlantique enfermé dans un container. Un véritable roman dans le roman.
« J’avais besoin d’une histoire plus aboutie que les fragments censurés qu’il détenait et m’avait transmis. » Une histoire à lui, même trafiquée, fantasmée, qui l’ancre enfin dans la vie.
Elisabeth Philippe
Ce qu’on peut lire dans l’air (Albin Michel), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michèle Albaret-Maatsch, 384 pages, 22 euros.
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