Un recueil de nouvelles aussi effrayantes qu’ensorcelantes révèle le talent de Mariana Enríquez, nouvelle figure des lettres sud-américaines.
C’est un livre qui procure d’abord cette sensation étrange et rare, dès ses premières pages : la peur. Non la peur qu’il arrive quelque chose de grave à un personnage auquel on se serait attaché mais bien cet effroi pur et dur qui fait frissonner et remonte à l’enfance, aux histoires fantastiques comme Le Horla de Maupassant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce que nous avons perdu dans le feu est un recueil de nouvelles, des histoires plus effroyables les unes que les autres, faits divers macabres surgissant des ghettos et quartiers interlopes de Buenos Aires. Une journaliste sympathise avec une clocharde habitant la rue en face de chez elle pour découvrir qu’elle se prête à des rites sataniques dont son fils est sans doute la première victime (“L’Enfant sale”).
Pablo, guide qui emmène les touristes sur les scènes des meurtres les plus abominables de la ville, est hanté par le fantôme de Petiso Orejudo, l’enfant serial-killer (“Pablito clavo un clavito”). Des femmes s’immolent par le feu, en solidarité avec ces épouses brûlées par leurs maris jaloux (“Ce que nous avons perdu dans le feu”).
A retourner l’estomac et à couper le souffle
L’écriture de Mariana Enríquez est directe, simple et précise, d’un réalisme d’autant plus remarquable qu’il a pour matière première l’abominable. “Comme Roberto Bolaño, elle s’intéresse aux questions de vie et de mort et sa fiction frappe avec la force d’un train de fret”, écrit très justement l’auteur américain Dave Eggers. Des phrases à retourner l’estomac de violence et de cruauté, mais à couper le souffle de beauté brute, authentique.
Si la romancière argentine s’inscrit dans la tradition du réalisme magique (Julio Cortázar, Carlos Fuentes, Gabriel García Márquez), proposant une vision élargie du réel par la prise en considération de la part d’étrangeté et de mystère que recèle l’être humain, elle renouvelle aussi le genre en revenant au caractère prosaïque, absurde et drôle de l’existence. Le paranormal surgit ainsi des situations les plus anodines : le voisin d’en face, votre épouse, un poste de télévision. Avec en toile de fond le passé récent de l’Argentine, ses fantômes, sa part maudite.
Un livre extrêmement perturbant, qui a le charme ensorceleur du chant des sirènes. On sait qu’on ne devrait pas l’écouter, pourtant dès qu’on en entend les premières notes, on est hypnotisé et on ne peut plus s’en détacher.
Ce que nous avons perdu dans le feu (Editions du Sous-sol), traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet, 240 pages, 19 €
{"type":"Banniere-Basse"}