La primo-romancière Regina Porter explore l’histoire de deux lignées familiales aux Etats-Unis, l’une blanche et l’autre noire. Et construit un roman d’une étonnante inventivité.
Du nouveau. Voilà ce que propose Regina Porter. Son premier roman est un kaléidoscope où miroitent une multitude d’existences, un judicieux montage qui nous offre une passionnante radiographie de l’Amérique.
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Ce que signifie grandir aux Etats-Unis
Porter nous raconte – du milieu des années 1950 à la première année de la présidence d’Obama, en 2008 – ce que signifie grandir aux Etats-Unis, si l’on est riche ou pauvre, rural ou urbain, du Sud ou du Nord, noir ou blanc. Car tout se passe sur fond de tensions raciales, omniprésentes même dans la vie quotidienne.
Il est remarquable que Regina Porter ait réussi à traduire dans la forme même de son roman la diversité de ces vies. L’auteure remonte dans les histoires familiales d’un jeune couple d’universitaires new-yorkais : il est blanc et elle est noire, parents de jumeaux de 5 ans.
A travers eux, elle ne se contente pas de camper leurs parents et leurs grands-parents, mais convoque oncles, frères et sœurs, demi-frères et cousins, mettant en scène toutes sortes d’existences possibles dans des lieux emblématiques ou totalement paumés des Etats-Unis.
Une forme narrative fracturée
Pour construire son puzzle géant, Porter bouscule les limites du roman traditionnel avec une forme narrative fracturée, introduisant des alternances de styles et de narrateurs, des textes à l’intérieur du texte, des formes dialoguées comme dans une pièce de théâtre.
Elle chahute aussi la chronologie et, comme dans une série, des rôles secondaires surgissent soudain au premier plan pour disparaître ensuite. Ici et là, des illustrations augmentent le texte, souvent des photos de lieux qui intègrent les personnages dans une histoire plus vaste qu’eux. Et ce collage à première vue foutraque se révèle être un agencement très ingénieux.
Car à travers ces vies dissemblables – ceux qui ont profité des Trente Glorieuses et du libéralisme américain pour s’enrichir en une seule génération, ceux qui ont subi les revers de cette société et ont été contraints de vivre dans l’ombre –, Porter raconte une chose précise : la construction de l’Amérique moderne et l’injustice inhérente au pays.
Des personnages profondément humains et émouvants
Au-delà de l’aspect politique de son propos, elle a écrit un roman, pas un essai, et nous raconte des histoires d’amour. Elle a su créer des personnages profondément humains et émouvants, donnant une voix particulière à chacun d’eux, jeunes femmes ou jeunes hommes au seuil de leur vie, pleins d’espoir, souvent malheureux, qui font avec la réalité qui les entourent et ne s’en sortent pas toujours.
En quelques mots, une atmosphère, une époque, un gouffre intérieur sont suggérés.
C’est par cette construction éclatée que l’auteure se permet de ne pas tout expliquer. En sautant par-dessus les époques, Regina Porter ménage des vides et laisse ainsi à son lecteur la possibilité de deviner les non-dits, et d’imaginer des destins possibles.
Ce que l’on sème (Gallimard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laura Derajinski, 368 p., 22 €
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