James Comey, patron du FBI licencié par Donald Trump en mai 2017, sort ses mémoires dans lesquelles il décrit un président qui “représente une menace pour une bonne partie de ce qui est bon dans ce pays”.
Il faut attendre l’épilogue de Mensonges et vérités – Une loyauté à toute épreuve (éd. Flammarion), pour lire son auteur, James Comey, « se lâcher » sur Donald Trump. Tout au long des 350 premières pages de son livre l’ancien patron du FBI avait réussi à se contenir. Mais d’un coup, sans prévenir, la cocotte-minute a explosé. Attention ça éclabousse : « Ce président est malhonnête et n’accorde aucune importance à la vérité ni aux valeurs institutionnelles. Dans l’ensemble, sa façon de gouverner est mercantile, motivée par son ego et ne tourne qu’autour de la notion de loyauté personnelle. »
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James Comey, 57 ans, a dirigé la police fédérale américaine de septembre 2013 jusqu’au 9 mai 2017. Ce jour-là, il se trouve à Los Angeles pour assister à un événement sur la diversité du recrutement d’agents au sein du FBI. Alors qu’il tient aux agents présents un discours sur leur mission qui consiste à « protéger le peuple américain et faire respecter la Constitution des États-Unis », il aperçoit son nom sur le bandeau d’une chaîne d’info en continu, diffusée au fond de la salle. « COMEY LICENCIE ». Sa première réaction est l’incompréhension.
Pour comprendre comment les États-Unis en est arrivé à élire Donald Trump qui « représente une menace pour une bonne partie de ce qui est bon dans ce pays » cet avocat de formation va remonter le fil de sa vie professionnelle, qui embrasse la vie politique américaine (mouvementée) des trente dernières années.
Les deux premiers tiers du livre sont consacrés à sa jeunesse et ses premiers pas comme procureur général adjoint des États-Unis, poste qu’il occupe de décembre 2003 à août 2005, sous la présidence de George W. Bush. Le dernier tiers du livre revient longuement et de façon très précise sur l’affaire des e-mails d’Hillary Clinton, qui a largement contribué au climat délétère ayant entouré la campagne présidentielle de 2016, aboutissant à l’élection de Donald Trump. Le 45e président des États-Unis offrant quelques scènes tout bonnement hallucinantes, racontées par Comey :
« La Golden shower »
Nous sommes au début de l’année 2017, lors de la période de transition entre le président sortant Barack Obama et le nouvel élu Donald Trump. Le « gang des huit », les principaux directeurs de police et de sécurité aux Etats-Unis, a rendez-vous avec la nouvelle équipe exécutive pour un premier briefing. Ils doivent notamment évoquer les impacts de la tentative d’ingérence russe lors de la campagne présidentielle. « Je me souviens que Trump a écouté sans prendre la parole, mais il n’a ensuite posé qu’une seule question, qui était plus une affirmation, centrée sur lui et non sur la nation : ‘Mais vous avez trouvé que ça n’avait eu aucun impact sur le résultat, n’est-ce pas ?’«
James Comey doute de la prise de conscience de l’enjeu par la nouvelle équipe dirigeante du pays : « Ce qui m’a frappé, c’est que Trump et son équipe n’ont rien demandé. Ils s’apprêtaient à diriger un pays qui avait subi les attaques d’un adversaire étranger, mais ils n’avaient aucune question sur la nature d’une future menace russe, ni comment le États-Unis pouvaient s’y préparer. »
Vient la question du dossier Steele : « Nous venons de leur dire : ‘Les Russes ont essayé de vous faire élire.‘ Devais-je alors leur donner une leçon sur la façon de se comporter avec nous ? Alors que je m’apprêtais à avoir une discussion sur les prostituées moscovites avec le futur Président ? Non je ne crois pas. »
Le silence est rompu lorsque le chef de cabinet Reince Priebus demande si quelqu’un a quelque chose à ajouter. « Eh bien oui, nous disposons d’informations sensibles, mais jugeons préférable que le directeur Comey vous les communique en plus petit comité”, déclare Jim Clapper, l’ancien directeur du renseignement national. « Je lui ai résumé les allégations selon lesquelles il aurait été filmé par les Russes en plein ébat avec des prostituées dans un hôtel à Moscou en 2013. Je n’ai pas mentionné le fait qu’il aurait demandé aux prostituées de s’uriner mutuellement dessus sur le lit où le président Obama et sa femme avaient un jour dormi, dans le but de le souiller. (…) Avant que j’aie pu terminer, Trump m’a interrompu d’un ton méprisant. (…) Il a démenti avec virulence en me demandant – de façon rhétorique j’imagine – s’il avait l’air d’un homme qui a besoin de faire appel à des prostituées. (…) Alors qu’il se braquait de plus en plus et que la conversation tournait à la catastrophe, j’ai sorti mon joker de ma poche : ‘Vous n’êtes pas sous le coup d’une enquête, monsieur.’ Ça a eu l’air de le calmer. »
« Je suis germophobe »
Le 10 janvier, quelques jours après cette réunion, le site BuzzFeed rend public le dossier de 35 pages contenant les allégations dont Comey a parlé à Trump. Le lendemain, le directeur du FBI a une nouvelle conversation avec le président, cette fois au téléphone. « Il a dit qu’il était très inquiet concernant la « fuite » du « dossier » russe et de la façon dont les choses s’étaient produites. » Puis il est revenu sur leur précédente conversation en privée : “Il avait parlé à des gens qui avaient fait le déplacement à Moscou avec lui pour le concours de Miss Univers en 2013. Il se souvenait à présent de n’avoir même pas passé la nuit à Moscou. Il a affirmé qu’il était arrivé de New York, qu’il était passé à l’hôtel pour se changer et qu’il avait repris l’avion le soir même. Puis il m’a surpris en mentionnant l’allégation que j’avais choisie d’éviter lors de notre entretien : ‘Ça ne peut pas être vrai pour une autre raison : je suis germophobe. Je n’aurais jamais laissé des gens s’uriner dessus près de moi. C’est impossible.' »
« J’ai besoin de loyauté »
27 janvier 2017 : Donald Trump est officiellement le 45e président américain depuis une semaine. James Comey reçoit, à sa grande surprise – l’indépendance du FBI vis-à-vis de l’exécutif l’impose – une invitation à dîner à la Maison Blanche. Alors qu’il pensait à une réunion de groupe, le patron du FBI se rend compte, à sa grande surprise qu’il s’agit d’un tête-à-tête. Le repas débute dans une étrange atmosphère : Donald Trump admire le menu écrit à la main par les employés et s’en émeut à plusieurs reprises. Très vite, Comey comprend le sens de ce dîner lorsque Donald Trump lui demande : « J’ai besoin de loyauté. J’attends de la loyauté. »
Le patron du FBI se rétracte sur sa chaise. « A mes yeux, cette requête ressemblait à la cérémonie d’intronisation de ‘Sammy the Bull’ à la Cosa Nostra ; avec Trump qui me demandait si j’avais les atouts nécessaires pour devenir un ‘homme accompli’. Tout au long du dîner, l’auteur raconte un Trump enchaînant les monologues sans réelle construction. « Il a affirmé n’avoir jamais maltraité une longue liste de femmes, réexaminant chaque cas en détail (…) Il a insisté sur le fait qu’il n’avait aucunement peloté la femme assise à côté de lui dans l’avion, et l’idée qu’il ait pu agripper une actrice porno et lui proposer de l’argent pour qu’elle vienne dans sa chambre est grotesque. » Plus loin : « Spontanément, comme un nouveau virage dans la conversation, il a abordé ce qu’il appelait ‘l’histoire des douches dorées’ (…) mais il a ajouté que ça l’embêtait qu’il y ait ‘ne serait-ce qu’un pour cent de chance » que sa femme, Melania, y croie' ». En fin de dîner, Donald Trump aborde une nouvelle fois la question du « besoin de loyauté » : « J’ai marqué une nouvelle pause. ‘Vous obtiendrez toujours de l’honnêteté de ma part‘, ai-je répondu. Il a marqué une pause à son tour. ‘Voilà ce que je veux : une loyauté honnête‘. Cela semblait lui convenir, comme une sorte d’accord dont nous sortions tous les deux gagnants. »
« J’espère que vous lâcherez l’affaire »
Le 14 février, Jim Comey est de retour dans le Bureau ovale, pour un briefing sur le contre-terrorisme. A la fin de l’entretien, Trump déclare : « Merci à tous. Je veux simplement parler à Jim. » Jeff Sessions et Jared Kushner tentent de rester dans la pièce mais Trump les éconduit un à un. « Je veux parler de Mike Flynn », lâche le président une fois en tête à tête avec son directeur du FBI. Général de l’armée américaine à la retraite, Flynn avait eu plusieurs discussions avec l’ambassadeur de Russie aux États-Unis courant décembre 2016, car il souhaitait l’aide des Russes pour faire capoter la décision des Nations Unies – à laquelle le gouvernement Obama n’allait pas s’opposer – de condamner Israël pour l’expansion de ses colonies en territoire occupé.
« Le président a commencé par dire que le général Flynn n’avait rien fait de mal en discutant avec les Russes, mais qu’il avait été obligé de le laisser partir parce qu’il avait menti au vice-président. (…) Puis il a dit : ‘J’espère que vous laisserez tomber tout ça, que vous lâcherez Flynn. C’est quelqu’un de bien. J’espère que vous lâcherez l’affaire.‘ Sur le moment, j’ai compris que le président me demandait d’abandonner l’enquête sur Flynn concernant ses mensonges au sujet de ses conversations avec l’ambassadeur de Russie en décembre. (…) Imaginez la réaction des gens si Hillary Clinton, à sa place, avait demandé à parler au directeur du FBI en tête à tête pour lui demander d’abandonner l’enquête sur son conseiller à la Sécurité nationale. »
« Est-ce que ça gaze ? »
« J’allais batailler encore trois mois avec le Président Trump. Le 1er mars, je m’apprêtais à monter à bord d’un hélicoptère pour me rendre à un sommet sur les opiacés à Richmond lorsque mon assistante, Althea James, m’a appelé pour me dire que le Président voulait me parler. Je n’avais aucune idée de la raison de son appel, mais je me suis dit que ça devait être important (…) Au bout de quelques minutes, mon téléphone a sonné et l’opératrice de la Maison Blanche m’a passé le président. Celui-ci m’a dit qu’il appelait ‘juste pour voir comment j’allais.‘ J’ai répondu que je me portais bien mais que j’avais beaucoup de choses à faire. (…) Cette discussion gênante, qui a duré moins d’une minute, me semblait être encore une tentative pour se rapprocher de moi, s’assurer que j’étais un amica nostra. Sinon, pourquoi le président des États-Unis, qui devait avoir un million de choses à faire, appelait le directeur du FBI pour lui demander comment il allait ? Je suis sorti de la voiture et j’ai rejoint le directeur du DEA, en expliquant que mon retard était dû à un appel du président qui voulait savoir si ça gazait. »
Mensonges et vérités – Une loyauté à toute épreuve de James Comey, Flammarion, 379 pages, 22 euros
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