Avec ce récit autobiographique fragmenté, Paul Auster dresse de lui un portrait de l’artiste en homme vieillissant. Un texte crépusculaire trop aimable pour être touchant.
D’abord, une révélation. Dans son dernier livre, Paul Auster avoue qu’il aime péter. Pour celles et ceux qui continueraient d’idolâtrer l’écrivain de Brooklyn, admirant souvent autant ses romans que son physique ténébreux, le choc risque d’être rude. Non, il n’est plus un « héros », il n’est plus un « dur », mais un homme vieillissant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans Chronique d’hiver, écrit à l’approche de ses 64 ans, Paul Auster (aujourd’hui âgé de 66 ans) ausculte le passage du temps et ses – relatifs – outrages. L’auteur de Trilogie new-yorkaise se met littéralement à nu, passant en revue ses moindres cicatrices, ses maux d’estomac, ses « années d’obsession phallique », ses excès, ses faiblesses. Comme il le résume lui-même, il dresse un « catalogue de données sensorielles » dans ce journal écrit à la deuxième personne du singulier, comme pour mieux marquer la distance entre l’esprit et son corps, mais aussi cette impression d’étrangeté qui peut nous saisir quand on réalise brusquement que l’on n’a plus 15 ans, mais 35, 64 ou 90 ans.
« Catalogue », le mot est juste.
Chronique d’hiver se compose de fragments juxtaposés et de longues énumérations souvent fastidieuses : le nombre de pays où il est allé, le nombre d’adresses où il a vécu, la liste de ce qu’il aime manger. Et toutes les dix pages environ, Auster glisse des déclarations d’amour à sa femme, l’écrivaine Siri Hustvedt, si belle, si intelligente, si formidable. Le procédé a quelque chose de lassant. Mais l’avantage de la construction mosaïque du livre est que l’on peut picorer, passer rapidement sur les listes et s’attarder sur les microrécits et les anecdotes que Paul Auster raconte avec une maîtrise consommée. Parmi les passages les plus réussis, on retiendra les pages sur sa fréquentation des prostituées à Paris et notamment sa rencontre avec Sandra, qui lui récite des vers de Baudelaire après lui avoir enseigné toutes les postures du Kama Sutra.
Il fait également un beau portrait de sa mère en femme sensuelle et un peu borderline, alors que son père, qui avait inspiré son premier roman L’Invention de la solitude, traverse le livre comme un fantôme. Chronique d’hiver est aussi une réflexion sur la façon d’appréhender la mort. En guise de réponse, Auster cite le moraliste Joseph Joubert : « Il faut mourir aimable (si on le peut). » Et c’est peut-être parce qu’il cherche trop à rester aimable que Paul Auster peine à offrir un récit aussi fort et poignant que d’autres textes crépusculaires, comme le très beau Le Bleu de la nuit de Joan Didion paru au début de l’année.
Elisabeth Philippe
Chronique d’hiver (Actes Sud), traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Furlan, 256 pages, 22,50 €
{"type":"Banniere-Basse"}