Riad Sattouf poursuit son travail d’entomologiste en racontant avec justesse, humour et sensibilité la vie d’une petite fille d’aujourd’hui.
Après sa propre enfance (L’Arabe du futur) et la jeunesse d’anonymes (La Vie secrète des jeunes), Riad Sattouf scrute de son œil d’entomologiste l’enfance des années 2010. C’est Esther, 10 ans, fille d’un couple d’amis et élève de CM1, qu’il a choisi comme représentante de la préadolescence d’aujourd’hui. Pendant un an, la petite fille s’est entretenue avec lui, racontant ses journées, ses pensées, ses impressions – que l’auteur a prépubliées chaque semaine dans L’Obs.
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Très éveillée, gaie, vouant une admiration sans bornes à son papa, Esther est une fillette comme beaucoup d’autres. Elle vit dans un petit appartement parisien avec son frère et ses parents, fréquente une école privée où règne une certaine mixité sociale, elle aime les dessins animés Disney, la pratique du chant et de la danse, les célébrités – Beyoncé, Kendji Girac, ”le chanteur préféré des filles”.
L’obsession de l’iPhone
Riad Sattouf laisse la parole à Esther. C’est à travers sa voix qu’on découvre ses copines, les garçons, les petits durs, les souffre-douleur, les profs. Ses réactions à l’actualité, son obsession constante pour les iPhone – et sa frustration, car ses parents refusent de lui en acheter un –, ce qu’elle comprend du fonctionnement du monde des adultes (l’homosexualité, l’argent…) sont uniquement vus via le prisme de son ingénuité enfantine.
Riad Sattouf dépeint cela à la perfection, conservant précieusement le ton de la petite fille, avec tout ce qu’il comporte d’enthousiasme et d’exagération propres à l’enfance. Aucun tic de langage, aucune expression toute faite apprise dans les médias ne manquent, jusqu’à certains noms propres mal assimilés retranscrits phonétiquement.
A travers ce que raconte Esther, c’est toute une génération que Riad Sattouf cerne au plus juste. Comme à la lecture de La Vie secrète des jeunes, on a ici envie de rire, mais la vision lucide de l’auteur, inégalable quand il s’agit de dévoiler sans en avoir l’air tout ce qu’on préférerait ne pas voir, met parfois mal à l’aise.
Portrait cruel de l’époque
Riad épingle ainsi discrètement la pauvreté culturelle, la condition des filles (en colo, Esther ne met plus de jupe parce que les garçons se moquent et essaient de la “toucher en dessous”) et leur conditionnement (comme lorsqu’Esther imagine son avenir de célébrité), les fausses valeurs, la méchanceté gratuite, l’influence de la téléréalité, le pouvoir de la masse, la difficulté de l’école à intéresser les élèves…
Derrière l’attachante peinture d’une fillette sympa et dégourdie se cache un portrait terriblement cruel de notre époque par un observateur de génie.
Les Cahiers d’Esther – Histoires de mes 10 ans (Allary Editions), 56 pages, 16,90 €
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