Le texte imagine le développement industriel de la consommation de chair humaine. Et teste notre capacité à envisager l’innommable.
“Demi-carcasse.” Voici le premier mot d’un texte à la croisée de l’anticipation, du gore, de la fable politique et du roman psychologique. Cadavre exquis est une fiction qui ne s’enferme dans aucun genre littéraire et dresse un portrait sans concession de notre société de consommation.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Viande humaine
Dans un monde qui ressemble furieusement au nôtre, les animaux ont disparu. Les autorités ont convaincu leurs administrés de manger des gens, mais pas n’importe lesquels. Dans des élevages, on supervise la reproduction d’humains exclusivement destinés à la consommation.
Bazterrica décrit comment le pouvoir a inventé des éléments de langage et pondu des lois afin d’éviter que des citoyens ne prennent en pitié ces individus promis à l’équarrissage. Quiconque les regarderait autrement que comme des bêtes à viande sera condamné à mort.
L’auteure décrit également la façon dont l’industrie agro-alimentaire a organisé et fait prospérer la filière. Son texte regorge de détails macabres, comme la façon dont les laboratoires de recherche mettent au point des races plus ou moins goûteuses et plus ou moins bon marché. Le pire, c’est que cette histoire cannibale paraît crédible.
Une réflexion sur notre conduite morale
Son personnage principal travaille dans un abattoir, on le suit dans ses journées avec ses collègues de travail. C’est un homme au passé douloureux, plein de chagrin et de doutes. Bazterrica a choisi de ne pas raconter son histoire à la première personne. Le lecteur est donc aux côtés du héros, observant la façon dont il se meut dans cet univers bizarre, sans pouvoir imaginer ce qu’il va faire. D’autant qu’un élément vient perturber la cadence routinière des jours : quelqu’un lui offre une femelle.
On ne vous dira rien du dénouement, horrible, concocté par l’auteure.
Au-delà de la farce morbide, ce texte donne lieu à de multiples lectures. On peut y voir une ode au véganisme ou une dénonciation du libéralisme. La romancière argentine nous parle aussi du passé récent de son pays, car elle décrit le fonctionnement pervers d’une dictature. En outre, ces humains regardés comme du bétail renvoient à des génocides qui ont marqué le XXe siècle. Enfin, Bazterrica questionne nos limites en tant que citoyens : jusqu’où serons-nous capables d’accepter, passivement, ce que les autorités et les industriels nous imposent ?
Cadavre exquis (Flammarion), traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud, 304 p., 19 €
{"type":"Banniere-Basse"}