« Le Cabinet du docteur Black », premier livre de l’Américain E.B. Hudspeth, raconte la vie d’un savant inventeur d’hybrides et fait l’apologie des freaks. Un véritable petit ovni.
Les monstres fascinent, attirent autant qu’ils repoussent, et hantent notre psyché au point d’apparaître dans l’art et la littérature depuis des milliers d’années. Qu’est-ce que la monstruosité ? Une malformation, qui passe par l’exacerbation ou la diminution de membres, mais qui, si elle en restait là, ne dépasserait pas le stade de la simple invalidité. Non, le monstre, c’est celui qui est double, voire multiple, qui rassemble en un seul corps plusieurs entités : créatures mythologiques telles que les sphinx, sphinges, chevaux ailés, licornes, sirènes, minotaures ou centaures ; personnages de la littérature fantastique comme le vampire, à la fois vivant et mort, le monstre de Frankenstein, créé à partir d’un assemblage de corps morts, Dr Jekyll et Mr Hyde, l’homme aux deux visages, ou encore les superhéros (hommearaignée, femme-chat, etc).
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Un petit précis anatomique macabre
Si les monstres hantent à ce point l’art et l’humanité, qui semble les avoir créés pour les maintenir à distance et mieux les exorciser, c’est qu’ils font peut-être intrinsèquement partie d’elle-même : projections fantasmagoriques de notre psyché, métaphores de nos âmes, de notre essence double, voire multiple, contrainte à s’incarner en une forme identitaire univoque, fixe, sans aspérités, sur laquelle s’est construite et repose toute cohésion sociale.
Un étrange livre, sorte de petit précis anatomique macabre, prolonge ce postulat en le métaphorisant à travers un conte gothique : et si les malformations osseuses, et si les monstres, avaient leur raison d’être, en constituant la preuve que la créature hybride est à l’origine de l’humanité ? C’est ce qu’un savant, biologiste et chirurgien, le Dr Black, va tenter de démontrer au XIXe siècle à travers ses expériences. S’il commence par « réparer » les êtres difformes, en leur retirant, à la suite d’une opération, leurs membres superflus, il tentera vite d’étayer sa théorie en créant des monstres de toutes pièces en effectuant des greffes aussi terribles que poétiques, sur des animaux d’abord, puis sur des humains, y compris sa propre femme.
La théorie qui le conduira à se produire dans des foires, puis à sombrer dans la folie, c’est que le corps hybride n’est pas monstrueux, mais est bel et bien la conséquence d’une mémoire biologique de ce que le corps fut jadis : forcément hybride. Ce qui justifierait selon lui que les satyres et autres harpies aient bel et bien existé dans le passé, car « le corps ne peut développer quelque chose sans savoir pourquoi ». Fascinant, Le Cabinet du docteur Black se compose de deux parties : le récit de sa vie, parsemé d’extraits de lettres et de journaux dans le plus pur style de la littérature fantastique du XIXe, puis une série de planches anatomiques dessinées par le docteur Black himself. On n’a qu’une envie : les encadrer comme autant de radiographies de l’esprit, plus que de corps.
Le Cabinet du docteur Black (Le Pré aux Clercs), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marion Cot-Nicolas, 196 pages, 26 €
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