Des excès de la pop culture aux marges de Los Angeles, Jean Rolin fait de Britney Spears l’héroïne la plus romanesque de la rentrée littéraire.
Dans La Clôture, vous écriviez sur le boulevard Ney à Paris et sa population. Avez-vous abordé Los Angeles différemment ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les deux démarches ne sont pas si éloignées l’une de l’autre. Si tu marches à Los Angeles, tu rencontres des SDF en permanence – comme sur le boulevard Ney. Ce sont eux que tu croises le plus souvent. La nuit, cela en devient inquiétant car la plupart sont devenus fous, ils soliloquent, hurlent… Il m’est arrivé, sur un trajet de 300 mètres en rentrant d’un restau, d’être accosté par cinq clodos, qui généralement te tapent une cigarette. Ça crée une solidarité, même minimale, car non seulement je me retrouvais l’un des seuls à marcher à L. A., mais en plus l’un des rares à fumer – et à fumer en marchant ! Le décor de L. A. dégage autant d’étrangeté que le boulevard Ney, où là aussi il m’a fallu un mois et demi pour me sentir bien, où je n’ai été à l’aise que quand j’ai eu des points de repère : quelques cafés où je retournais tout le temps et où j’ai commencé à connaître des gens, mon ami congolais qui servait de garde au McDo ou mon ami SDF qui vivait dans sa caravane. Je parcourais régulièrement les cinq kilomètres du boulevard Ney entre la porte de Clignancourt et celle de Pantin, dans les deux sens et nuit et jour. Mon parcours était scandé par un certain nombre d’étapes familières et rassurantes. A L. A., mes trajets étaient plus aléatoires, donc développant une moindre familiarité.
Vous avez suivi des paparazzis pendant plusieurs jours. Qu’en avez-vous pensé ?
Je me suis retrouvé plusieurs fois mêlé à eux, notamment la fois où Britney descend de sa Cadillac sans culotte pour aller bouffer à The Abbey, un restau gay très connu. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi c’est une scène si importante car il paraît qu’elle sort fréquemment sans culotte. Je les ai alors trouvés agressifs et désagréables. Ensuite, j’en ai fréquenté plusieurs, je voulais faire du ride along avec eux, un terme emprunté à la police qui consiste à traîner lentement en voiture dans les rues fréquentées par des stars. J’ai d’abord accompagné un Français, qui suivait Katy Perry depuis son domicile de Loz Feliz jusqu’à l’aéroport de Lax. Ce mec était beaucoup plus intéressant et paradoxal que je ne m’y attendais. Il n’est absolument pas dupe de l’inintérêt de son travail, c’est juste un job alimentaire. Lui était avant tout graffeur, et c’est ça qui l’intéressait. En général, les paparazzis se foutent des stars.
Ensuite, j’ai fait la rencontre encore plus étonnante de deux paparazzis brésiliens, qui ont passé quatre ans à suivre Britney Spears – il y a énormément de Brésiliens chez les paparazzis. J’y allais avec appréhension, persuadé qu’il s’agirait de deux connards. En fait, j’ai passé deux journées épatantes en toute intimité avec ces deux mecs, qui patrouillent ensemble comme deux flics. Ils m’ont fait des confidences, m’ont montré des photos de leur famille. Ce qui m’a frappé, c’est qu’ils évoquaient l’histoire éternelle des paumés qui quittent un pays où ils n’ont aucun espoir pour un autre difficile. Ces deux émigrants, très solidaires, me faisaient penser aux héros des romans de Steinbeck. On aurait pu s’attendre à ce qu’ils soient cyniques, mais ils portent une certaine affection à Britney parce qu’elle a des goûts aussi populaires qu’eux et ne se la joue pas, contrairement à Victoria Beckham qu’ils détestent. Un jour où elle sortait de l’hôpital, seule, Britney a même demandé à Felipe, le plus jeune, de la raccompagner chez elle, puis l’a fait entrer dans sa propriété. En me racontant ça, il aurait pu terminer son récit par une allusion graveleuse, car elle avait la réputation de s’envoyer en l’air avec n’importe qui, mais non, il est resté parfaitement galant. Elle avait assez confiance en lui pour le faire entrer chez elle. Quant à Sandro, il l’a un jour aidée à se sortir de l’eau où elle s’était jetée complètement pétée à 4 heures du matin.
On sent quelque chose du roman noir dans votre livre.
Il y a une intrigue en effet, avec un agent secret bon à rien qui doute à juste titre de la réalité de la mission qu’on lui a confiée… Quant aux deux paparazzis, c’est vrai qu’ils patrouillent comme des flics – d’ailleurs, Sandro était flic au Brésil et Felipe veut intégrer le LAPD. Pour moi, L. A. est bien sûr la capitale du roman et du film noirs, et des histoires très sombres qu’on trouve chez John Fante et James Ellroy. En écrivant ce texte, je me suis référé constamment à cette noirceur et ce tragique social si importants dans l’histoire de la ville et dans la littérature qu’elle a suscitée.
Le Ravissement de Britney Spears est un roman, pas La Clôture. Comment décidez-vous qu’un livre est un récit ou un roman ?
L’Organisation, sur mes années maoïstes, est devenu un roman car à l’époque je ne prenais aucune note puisque notre activité était clandestine. Il ne s’agissait que de souvenirs et la reconstruction que j’en ai fait est évidemment romanesque, même si c’est un roman autobiographique. La Clôture, on pouvait aussi l’imaginer comme un roman, puisque je tramais deux histoires qui n’avaient a priori rien à voir : un héros de l’Empire qui a donné son nom au boulevard, et les gens qui aujourd’hui le peuplent. Je trouvais cette démarche romanesque, sauf que rien n’est inventé dans ce livre. Je ne me sentais pas le droit de fictionner la vie des gens dont je parlais. Car il faudrait faire une distinction entre les termes “roman” et “fiction”. Le Ravissement de Britney Spears est très largement une fiction, même si le narrateur a de nombreux points communs avec moi. Sa mission est le fil romanesque de l’histoire et permet qu’elle se déroule sur deux scènes différentes, celle de L. A. et celle du Tadjikistan. J’aime beaucoup écrire de la fiction. Je m’en suis détourné en 1993 après Cyrille et Méthode, et j’avais très envie d’y retourner. Et puis je voulais aborder, sur un mode burlesque, le terrorisme islamique, qui est l’autre composante importante de l’époque avec l’entertainment. Donc j’ai imaginé un complot islamiste visant à enlever ou assassiner Britney Spears – ce que je trouvais à la fois burlesque et parfaitement vraisemblable. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi les terroristes n’avaient pas choisi de frapper Hollywood, qui représente exactement tout ce qu’ils détestent, plutôt que les Twin Towers.
Vous avez fait partie d’une organisation maoïste dans les années 70. Des décennies après, vous écrivez autour de Britney Spears et du show-biz… Quid d’une critique sociale aujourd’hui ?
J’ai adhéré très sincèrement à une idéologie – le marxisme –, qui s’est révélée être très malfaisante, mais qui à l’époque me paraissait proposer des solutions à tous les problèmes auxquels nous sommes toujours confrontés, soit l’appropriation collective des moyens de production et d’échanges. La faillite de cette idéologie est consommée, pour de bonnes raisons, et il n’est pas souhaitable qu’elle revienne. Tout ce qu’on peut souhaiter, c’est que se développe une pensée critique d’une toute autre nature. La critique sociale est on ne peut plus nécessaire aujourd’hui, mais elle ne peut plus naître des mêmes bases.
Vous avez longtemps été reporter à Libération, au Figaro et dans d’autres journaux. Vous l’êtes toujours. Qu’est-ce que cette pratique vous a appris ?
A peu près tout. Je pense malheureusement qu’à la longue, le reportage induit un certain relativisme et une incapacité à croire sérieusement ce que l’on voit. Mais cela apprend aussi à ne pas se fier aux apparences, aux a priori. Un exemple m’est cher : celui de la désagrégation de la Yougoslavie. J’ai observé avec satisfaction que mes préjugés ne résistaient pas à l’épreuve des faits. De par ma culture historique, même si elle n’est pas immense, j’étais au départ pro-Serbes, surtout qu’ils se présentaient comme les partisans, alors que les Croates étaient les fascistes. Ce que j’ai vu et appris m’a fait complètement changer d’avis. De même, ma sympathie pour les Palestiniens s’est développée parce que j’ai voyagé en Palestine et en Cisjordanie (même si je ne serai jamais un ennemi d’Israël). Alors qu’au départ, cette cause ne m’était pas particulièrement sympathique. Mais le reportage, ça dépend aussi sur quoi tu tombes. Ce que l’on voit n’est jamais qu’une part infime de la réalité.
Recueilli par Nelly Kaprièlian
Le Ravissement de Britney Spears (P.O.L), 288 pages, 17 €, en librairie le 25 août
{"type":"Banniere-Basse"}