La rebelle éternelle de la chanson française publie un recueil de deux textes, reflets de son inventivité pleine de poésie.
Brigitte Fontaine est une icône autant qu’un ovni. Poète et comédienne, née dans le Finistère en 1939, elle a passé sa vie à expérimenter et entamé un parcours inédit dans le paysage de la chanson française, hors des cadres et des modes, dès les années soixante. Elle a écrit et joué des pièces de théâtre musical, enregistré des disques, publié des recueils de poèmes imprégnés d’une même radicalité jubilatoire.
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Indépendante et inclassable, féministe depuis toujours, Fontaine mène un travail littéraire porté par une capacité très étonnante à jouer avec la langue française, une poésie pleine d’une étrange folie. Son nouveau livre, La Vieille prodige rassemble deux textes courts, loufoques et délicieux : Les Fruits confits se présente comme un journal de confinement, mais se transforme en un patchwork bien plus riche, où Fontaine laisse son esprit vagabonder au gré des associations d’idées et des souvenirs ; La Vieille prodige est une sorte de rêve éveillé abracadabrant. Il nous entraîne dans une suite de péripéties à la suite de personnages farfelus, qui pourraient bien être des avatars de Fontaine elle-même.
Quand on lui a téléphoné, on a été émue d’entendre sa voix inimitable, et on n’a pas été déçue par ses réponses.
Comment allez-vous ?
Brigitte Fontaine – Ooooh mais ça ne vous regarde pas ! (rires). Ce genre de questions, on n’attend aucune réponse, voilà pourquoi ça m’énerve. On demande comme ça : comment ça va ? ça va ? ça va ? Alors qu’on n’écoute pas la réponse.
Mais je vous écoute.
Non non non. Tous les gens font ça et ils n’écoutent même pas.
Alors parlons de ces deux textes que vous publiez. La Vieille prodige, vous l’aviez écrit avant Les Fruits confits ?
Je crois, mais je ne me rappelle plus.
Comment vous nommeriez votre univers littéraire, le style que vous travaillez ?
Je n’en sais rien. Des poèmes tordus, un peu loufoques, un peu jolis et un peu sinistres. Car je suis paradoxale. Je suis un oxymore, je suis baroque et un peu rock.
J’entends-là votre passion pour les mots et les sonorités. Elle vient d’où ?
C’est l’amour des mots, ça a toujours été comme ça. Depuis que je suis petite.
Vous parlez de l’enfance dans ces deux textes. Vous dites même : “refaites de moi une enfant”. Vous éprouvez de la nostalgie ?
Oui, c’est la seule que j’ai. J’étais, je crois, heureuse.
Quelle est la première image qui vient en tête, si vous pensez à cette période de votre vie ?
J’en ai deux. La première est resplendissante. J’étais blonde quand j’étais enfant. Je me revois dans le soleil à côté de mon petit copain sur une trottinette, je suis resplendissante et il est sinistre. L’autre image est tragique. Je pleure, je pleure de grosses larmes, les bras collés contre les oreilles, je dois avoir dans les deux ans et je crie : “peur peur peur”. Je ne sais pas de quoi j’avais peur.
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La Vieille prodige met en scène plusieurs personnages qui semblent être vous, mais à plusieurs âges différents.
Oui, c’est vrai. Et il y avait aussi une autre vieille que j’aimais. Je comptais que dans le texte, il y aurait les deux et crac, dans la réalité elle est morte. C’était Juliette Gréco. Je l’aimais beaucoup.
La mort vous fait peur ?
Oh oui, c’est terrible. Cela dit, j’en ai peur comme tout le monde, je suppose. Mais parfois la peur dure quelques secondes, puis elle part dans le lointain.
Peut-on lire La Vieille prodige comme une autobiographie ?
Mais non, tout est inventé ! Les Fruits confits par contre, c’est un journal.
Comment avez-vous vécu le confinement ?
Moi je m’en fous, ça ne changeait pas grand-chose. A part que je ne pouvais plus aller prendre des cafés en terrasse avec des amis. Ni jouer, bien entendu. Mais je suis malade, en fait. Comme ils disent tous : en fait, en fait. Je suis toujours allongée sur mon lit.
La scène vous manque ?
Ce sont des prouesses de pouvoir jouer, bouger, s’amuser. Je vais mieux quand je joue. Je ne suis pas déprimée et je suis plus énergique.
Vous écrivez dans votre livre que “la vie est une mauvaise plaisanterie”.
Oui, c’est une horreur. Sauf quand on est petit.
On dit souvent que vous n’êtes pas passée par la case adulte.
En effet, je n’ai pas été adulte et je ne le serai jamais.
Votre texte s’appelle La Vieille prodige. Vous préférez le mot “vieille” au mot “âgée” ?
Quelle horreur ! C’est comme dire “il nous a quitté” plutôt que de dire “il est MORT”. Il faut être franc. Moi, je suis vieille, mais je ne me considère pas comme ça.
Vous avez des regrets ?
Je regrette mon enfance, et une longue époque où j’ai été heureuse. Lorsque Higelin a écrit la pièce Maman j’ai peur. On jouait et on s’amusait et on s’amusait. Et j’étais jeune et j’ai rencontré mon premier mari qui était très beau et gentil. Et puis la rencontre avec Areski, on est restés amis très longtemps avant d’avoir un coup de foudre.
Pourquoi publier ces deux textes aujourd’hui ?
Je voulais m’amuser et amuser les gens. Me faire des surprises, inventer. J’aime ça. Etre franche aussi, malgré les inventions baroques.
Vous évoquez une tentative de suicide.
Ah, je ne croyais pas en avoir parlé. Oui, il y a eu des tentatives de suicide. Au moins deux, après des dépressions graves. Mais je ne recommencerai pas. Jamais.
Il y a aussi beaucoup de colère dans ces deux textes. Elle semble avoir été un moteur dans votre vie.
Oui. Il y a beaucoup de malentendus me concernant. En réalité, j’ai commencé à écrire des chansons pour contribuer à rétablir l’honneur des femmes. On aurait dit que c’était plus important que moi-même, à l’époque. On croyait que les femmes n’étaient pas des créatrices. Je trouve ça d’une injustice et d’une imbécillité ! Je suis dans une colère terrible, et la situation a peu changé. Les écrivains femmes de maintenant – je ne dis pas écrivaine, je tue celui qui dit que je suis une écrivaine, il y a des écrivains femmes comme on dit une girafe mâle, bref – les écrivains femmes de maintenant, je n’en connais pas trop. J’en suis restée à Duras. Il y a longtemps.
Quel regard portez-vous sur la vie que vous avez menée ?
J’ai joué, j’ai creusé, j’ai fait des efforts… Oooooh, mais ce n’est pas fini ! Vous allez me supporter encore longtemps.
Brigitte Fontaine : La Vieille prodige (Le Tripode), 120 pages, 13 €. En librairie, le 6 mai.
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