[Nos grands entretiens] – Nous retrouvons Bret Easton Ellis, rédacteur en chef invité des “Inrocks” cette semaine, en 2010 où il signait “Suite(s) impériale(s)”, magnifique roman noir où il règlait les comptes de son narcissisme et de son ego, de ses masques et de ses illusions.
« Si je suis heureux d’avoir fini ce livre ? De le voir publié ? Non, les choses ne se posent pas en ces termes. Et ce qu’en pensent la critique ou le public n’est pas plus important pour moi. Un livre, quand je l’écris, quand il sort, c’est entre moi et moi que ça se joue. Et le bonheur n’a rien à voir là-dedans.”
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Cynique, superficiel, fashion, désagréable ? Non. Peut-être difficile à croire, mais Bret Easton Ellis est l’un des écrivains les plus sympathiques et vrais qu’on ait rencontrés. Très vite, avec lui, l’entretien se change en conversation autour du bonheur ou de la tristesse, de la relation à l’autre et de l’inadéquation au monde, de la difficulté qu’il y a à vivre, de cette angoisse qu’on prêterait à tous sauf aux stars de sa trempe. Pourtant, son nouveau livre, Suite(s) impériale(s), roman noir dépressif et paranoïaque, inspiré des films asphyxiants de David Lynch et rappelant les polars du Nouvel Hollywood, de Klute (Pakula) à Conversation secrète (Coppola), suinte le mal-être.
Déjà, en août 2005, alors qu’on le rencontrait pour la première fois à New York pour la sortie de Lunar Park, forme d’autobiographie cauchemardesque, il nous parlait de son désir de réactiver les personnages de son tout premier roman, Moins que zéro, qui l’avait propulsé sous les projecteurs de la scène littéraire à 21 ans. Qu’étaient devenus Clay, Blair, Rip et Julian, ces gosses de riches de l’industrie cinématographique, désabusés et drogués sous le soleil omniprésent d’un Los Angeles dont les fantômes étaient d’abord leurs émotions, de plus en plus désincarnées ?
En 2005, Ellis vivait alors entre New York et le Los Angeles de son enfance, où il venait de passer plus d’un an à écrire des scénarios jamais réalisés. Il nous avait accordé un entretien bien plus profond et vrai que ce à quoi on s’attendait, sur la tristesse que l’on acquiert en vieillissant (il avait alors 41 ans). En septembre, on l’avait revu de passage à Paris, en costume Paul Smith et Ray-Ban Aviator, comme ayant revêtu le déguisement mode et cool du personnage tant attendu par les journalistes, allongé sur un lit dans une suite de l’Hôtel, rue des Beaux-Arts, où Oscar Wilde s’éteignait un siècle plus tôt, “au-dessus de ses moyens”.
Il était alors harassé par une tournée mondiale, grippé, poseur, emmerdé par le rabâchage des mêmes questions et plus encore de devoir jouer les “Bret Easton Ellis”, un masque qui finissait par lui ronger le visage et dont il semblait ne plus parvenir à se défaire, au risque d’y laisser sa peau – de crever un jour en solitaire à force d’y avoir trop cru, comme Wilde lui-même, payant cher de n’avoir jamais renoncé à son personnage.
Un Bret Easton Ellis en pleine forme nous reçoit chez lui
En janvier 2009, cette fois complètement installé à Los Angeles, seulement vêtu d’un haut de jogging et d’un bermuda, amaigri, d’une simplicité désarmante, il avait d’emblée abordé la période de dépression qu’il avait traversée à la sortie de Lunar Park. Depuis Moins que zéro et surtout depuis la déflagration American Psycho, Bret Easton Ellis avait un problème : davantage qu’un très bon écrivain, l’un des meilleurs d’aujourd’hui, davantage aussi qu’un écrivain célèbre, il était devenu une icône.
“Mon plus grand problème a été d’y croire, nous avait-il alors confié, et de réaliser que dans ma vie privée, ce statut d’icône n’avait aucun sens. C’était très dur pour moi de me demander, par exemple, pourquoi telle ou telle relation ne marchait pas alors que je suis censé être une icône. Cela semble être un problème dérisoire, facile à résoudre, mais c’est en fait quelque chose qui vous abîme profondément. C’est vraiment très douloureux de réaliser qu’on a beau être une icône, ça ne fonctionne pas de cette façon dans sa vie intime. Cela m’a dévasté.”
Los Angeles, juin 2010. C’est un Bret Easton Ellis en pleine forme qui nous reçoit chez lui, un vaste appartement dans West Hollywood qui ressemble de façon troublante à celui qu’occupe Clay, le narrateur de Suite(s) impériale(s). A travers les larges baies vitrées ouvertes de sa longue terrasse, qui offre une vue magnifique sur l’horizon turquoise traversé d’hélicoptères et sur un Los Angeles grouillant de voitures, digne du Crash de Cronenberg, le soleil éclabousse un salon minimaliste aux rares meubles 1960 où travaille un jeune assistant.
Pieds nus, toujours aussi simplement vêtu d’un T-shirt et d’un bermuda, Ellis nous entraîne dans son bureau très 1980, noir et gris, tellement high-tech qu’il en devient impersonnel. Heureux d’avoir fini Suite(s) impériale(s), ce roman auquel il pense depuis six ans et qu’il a écrit de 2006 à 2009 ? Non, donc. Le bonheur, c’est autre chose, comme le savent tous ceux pour qui la vie privée n’a pas toujours été un long chemin bordé de jonquilles.
“Un roman est avant tout quelque chose d’émotionnel, pas de pragmatique”
“Mais je vais tellement mieux que la dernière fois qu’on s’est vus… A l’époque, j’étais encore profondément déprimé, j’étais en thérapie, et le film The Informers (de Gregor Jordan, avec Mickey Rourke et Kim Basinger – ndlr), adapté de mon recueil de nouvelles Zombies et dont j’avais écrit le scénario, devait sortir et ne me plaisait pas du tout. Je me souviens exactement du moment où je suis sorti de la dépression : c’est en allant seul à la première de ce film en avril 2009. Ma famille et mes amis étaient là. J’étais au bar avec eux et, brusquement, j’ai lâché prise, je me suis laissé aller, j’ai réalisé que c’était ridicule d’être malheureux à cause d’un film. Ce qui a achevé de m’aider, c’est que j’ai fini Suite(s) impériale(s). Chacun de mes livres est un exorcisme.”
Le narcissisme, les dangers de l’ego, les relations ratées, les illusions perdues, l’incapacité d’aimer, la difficulté de l’être en retour, comme une fatalité, mais aussi une profonde ironie sur les films réalisés à Hollywood sont au coeur de ce magnifique roman qu’est Suite(s) impériale(s), le plus beau de la rentrée, le plus fort qu’on ait lu depuis longtemps.
“Y figurent des choses très intimes qui me concernent, les problèmes que j’ai à régler, les sentiments que je ressens sans pouvoir les nommer. Les transposer dans une fiction m’aide à les comprendre, à les travailler, à m’en sortir. Quand les gens me posent des questions sur mes livres qui commencent toutes par “pourquoi”, cela suppose que j’écris avec une certaine logique, cela suppose que je sais pourquoi, or c’est faux…”
“Ce matin encore, un journaliste m’a demandé ‘Pourquoi Los Angeles joue ce rôle dans la vie du personnage ? Que voulez-vous dire de la ville, blablabla ?’ Je n’ai pas la réponse. Un roman est avant tout quelque chose d’émotionnel, pas de pragmatique.”
D’une fête dans une villa de Bel Air aux bars du Beverly Hills Hotel
Troublant, dérangeant, poétique, sombrissime, le roman commence en décembre, à Noël, avec le retour de Clay à Los Angeles – vingt-cinq ans plus tôt, Moins que zéro commençait de la même façon. D’emblée, une idée géniale : mettre en scène les personnages qui auraient inspiré ceux de Moins que zéro et montrer leur réaction face à leur consignation et leur déformation dans un livre puis dans un film (le roman a été adapté au cinéma).
Très vite, on va suivre Clay, le narrateur : ado paumé et passif dans Moins que zéro, aussi malade que la société dans laquelle il évoluait, Clay est devenu un scénariste à succès, accumulant les histoires d’amour médiocres, jouissant du pouvoir qu’il exerce sur de jeunes actrices prêtes à tout pour obtenir un rôle, tout en s’en prenant lui-même plein la figure.
Ainsi il tombera fou amoureux de Rain, blonde glacée et actrice ratée, pute à ses heures, qui lui fait croire au grand amour durant quelques jours pour mieux l’amener à la faire tourner dans le film qu’il vient d’écrire.
“American Psycho’ est un roman incroyablement autobiographique.”
Clay, qui croit tout maîtriser mais deviendra vite le jouet d’un complot qui le dépasse, qui sillonne Los Angeles d’une fête dans une villa de Bel Air aux bars du Beverly Hills Hotel ou du Sunset Tower, qui arrose son mal-être de litres de vodka, de téquila et de dope, semble partager non seulement la même adresse que l’écrivain (North Doheny Drive, West Hollywood) mais aussi un mode de vie similaire, empreint d’un certain mal de vivre.
“J’aime ces jeux entre fiction et réalité et pourtant, non, je ne suis pas Clay. Contrairement à lui, j’aime les gens, je n’ai pas peur d’eux. En même temps, si j’ai passé tant de temps à écrire ce livre, c’est que je m’identifie aussi à Clay, que j’avais besoin de réactiver ce personnage pour me sortir de mes problèmes. Sinon, pourquoi perdre mon temps ? Tous mes romans sont une façon de m’en sortir. American Psycho est un roman incroyablement autobiographique.”
“Les journalistes aiment y voir un roman de critique sociale sur le monde de Wall Street et des yuppies alors que c’est seulement un roman sur ma solitude, mon aliénation, la personne que j’étais en train de devenir car je m’étais laissé rattrapé par cette culture de la consommation que je n’aimais pas. J’étais très malheureux et cela se reflète dans ce que Patrick Bateman est en train de vivre. Quand le livre est sorti, c’est devenu complètement autre chose…”
“Pareil pour Moins que zéro: c’est devenu le portrait d’une ville, d’une génération, alors que le roman ne traite que ce par quoi je passais à ce moment-là. Je n’écris pas pour faire de grandes déclarations sur la société. Mes romans viennent à chaque fois d’un endroit plus personnel, qui m’échappe complètement.”
C’est d’abord la voix de Clay qui a hanté Ellis. Qu’était devenu l’adolescent qui assistait sans broncher à un viol collectif à la fin de Moins que zéro ? Qu’était devenu Bret lui-même, habité/abîmé par tous ses personnages dans Lunar Park, autant d’avatars de lui-même, lui qui ne peut écrire qu’à travers la voix de narrateurs – Clay l’enfant perdu, Patrick Bateman à la froideur malheureuse, pur produit de son époque, Victor Ward (dans Glamorama), fêtard superficiel rompu au name dropping, Ellis lui-même dans Lunar Park, rongé par la mort d’un père monstrueux, et Clay à nouveau, qui prend pour de l’amour ce qui n’est que manipulation, terrifié par les autres, et qui souffre en permanence, dupe de son propre désir ?
“J’écris une confession à travers eux.”
Autant de masques pour mieux révéler des facettes de soi que l’homme derrière l’écrivain déteste parce qu’elles sont douloureuses. Après le New York des eighties et des marques de fringues, Hollywood et ses mirages, des masques que tous les personnages de Suite(s) impériale(s) revêtent : fausses identités, visages trafiqués par la chirurgie esthétique, visages détruits par des dizaines de coups de couteaux, visages parfaits et parfaitement souriants pour mieux masquer des fêlures intimes, profondes, insolubles.
Comme toujours chez Bret Easton Ellis, la véritable tragédie,c’est qu’on n’échappe jamais à son environnement. “La tragédie, c’est qu’on n’échappe jamais à soi-même, précise-t-il. Votre esprit est un piège, il est plein d’illusions. Clay est un Narcisse, et quand on l’est à ce point, il est très difficile de ne pas croire à ses illusions. Le Narcisse ne vit pas dans la réalité, il croit qu’il peut contrôler les autres, qu’il est au centre de tout. C’est une erreur énorme. Quand j’ai réalisé que Clay serait scénariste, que ce serait un roman hollywoodien, j’ai compris que le narcissisme y jouerait une grande part. Le grand mythe de cette ville, souvenons-nous du film de Billy Wilder, Sunset Boulevard, c’est l’exploitation. Les gens s’exploitent mutuellement. Ce qui arrive pour les êtres narcissiques, c’est qu’un tel système peut marcher un temps mais pas très longtemps. Clay éprouve du plaisir quand il souffre. C’est un masochiste.”
“Clay traverse, avec sa propre morale, un monde complètement immoral”
Rain ne l’aimera jamais. Même en sachant cela, il tentera tout pour la posséder, la contrôler. Rain est le personnage de femme le plus intéressant créé par Ellis. Belle et blonde, loseuse prête à tout pour un rôle minable, pute de luxe en string et talons aiguilles, manipulatrice, elle est celle autour de qui tournent tous les personnages masculins, celle pour qui ils s’affrontent, celle à travers qui ils règlent leurs comptes de mecs, se menacent comme des animaux dans une jungle. Pourchassée par le narrateur comme un absolu qui lui échappe, elle a le même statut symbolique que la baleine blanche du Moby Dick de Melville, traquée jusqu’à la destruction de tous par un capitaine Achab lui aussi égoïste et égocentrique.
Autour de cette figure de femme fatale se nouent intrigues, filatures, espionnages (Clay est continuellement suivi par une mystérieuse voiture noire, son appartement est fouillé, mis sur écoute), meurtres sauvages qui font du texte un vrai roman noir hollywoodien, genre dont Ellis s’amuse visiblement à revisiter les codes. “Si un roman reflète une phase que vous traversez, alors celui-ci témoigne du moment où je m’installais à Hollywood, où je faisais face à mes propres illusions au sujet de l’amour et où je lisais beaucoup Raymond Chandler. J’ai voulu inventer un Marlowe contemporain. Clay est comme un détective qui ne comprend pas tout à fait ce qui se passe. Il traverse, avec sa propre morale, un monde complètement immoral.”
Il y a une phrase Ellis reconnaissable entre toutes
Prendre des tonnes de notes, écrire, récrire, beaucoup couper : telle est la technique de Bret Easton Ellis. A force d’en avoir fait une icône, beaucoup ont perdu de vue qu’il s’agissait avant tout d’un véritable écrivain. Il y a une phrase Ellis reconnaissable entre toutes, un style, un rythme qu’on repère dès qu’on ouvre ses livres et qui ne ressemble à rien d’autre. Un phrasé en trois ou quatre temps, qui commence quelque part et nous mène complètement ailleurs, un art de la chute, qu’elle soit profondément bouleversante “ou totalement banale”, aime-t-il à ajouter.
“Je voulais revenir au minimalisme de Moins que zéro. Cela m’aide à commencer une phrase dans un certain esprit et à l’achever dans un esprit différent. Je ne voulais aucun name dropping, contrairement à Glamorama : Clay est un insider, les stars ne l’impressionnent pas. Il est scénariste et c’est comme s’il écrivait Suite(s) impériale(s) lui-même, à la façon d’un scénario : extérieur/intérieur, dialogues. Car c’est la voix de mes narrateurs qui influence à chaque fois l’écriture de mes livres. Ce roman est donc aussi court qu’un scénario, comme si Clay se mettait lui-même en scène dans son propre film. Sauf que la réalité, c’est qu’il n’est qu’un second rôle, pas l’acteur principal, et à force de s’acharner à croire le contraire, il va blesser tout le monde.”
“Si le ton est triste, c’est que je ne voulais surtout pas faire une satire d’Hollywood. Ça a été fait et refait et ça ne m’intéresse pas. Est-ce que je trouve Hollywood horrible ? Non. Il y a des tas de producteurs qui se battent pour faire des films intéressants, des metteurs en scène passionnants comme Gus Van Sant, par exemple. J’ai adoré écrire un scénario pour lui : deux artistes qui ne survivront pas à Hollywood et finiront par se suicider. Je ne suis pas sûr que Gus fera le film, j’essaie de le convaincre.”
“Mais c’est vrai, Hollywood est le lieu absolu de l’exploitation. Beaucoup de jeunes arrivent et ne demandent que ça – non pas pour faire un film mais pour devenir célèbre. Je connais ça. Je comprends très bien le personnage de Rain. Moi-même, j’ai voulu devenir célèbre et je me suis en quelque sorte prostitué en me laissant exploiter par mes éditeurs, par les journalistes. J’aurais pu refuser tout ça.”
“La fête est finie. Elle a été longue, et il faut savoir s’arrêter à un moment.”
De cette période new-yorkaise dans les années 80, à l’époque du “Brat Pack”, ce groupe ainsi désigné par la presse qu’il formait avec Jay McInerney, Tama Janowitz et quelques autres, à passer toutes leurs nuits en boîte et à se retrouver dès le lendemain en photo dans la presse, Ellis garde un excellent souvenir. “Mais la fête est finie. Elle a été longue, et il faut savoir s’arrêter à un moment. C’est pourquoi j’ai quitté New York il y a six ans. Et puis mon ami Michael Kaplan venait de mourir dans l’appartement que nous partagions depuis sept ans. Il y a trop de fantômes pour moi à New York.”
Est-il gay ? Certains le disent. Quand il aborde ses relations amoureuses, il parle à chaque fois d’“une personne” qu’il a rencontrée, ou qui l’a quitté, ou qu’il a revue et avec qui ça se passe bien, sans jamais en préciser le sexe. Mal remis, peut-être, des attaques violentes des ligues féministes qu’il a dû subir à la sortie d’American Psycho, l’accusant de haïr les femmes.
L’écrivain le plus sous-estimé dans son propre pays
Depuis le choc de ce classique instantané, qui aura 20 ans en 2011, chaque roman d’Ellis subit un accueil mitigé aux Etats-Unis. Mal aimé par la critique, qui semble se méfier de son statut d’auteur à scandales et à succès (ses livres sont des best-sellers), Ellis est l’écrivain le plus sous-estimé dans son propre pays. Hors normes, hors catégories, il faut dire qu’il s’est très vite tenu à l’écart d’un milieu littéraire trop conventionnel :
“Le dernier grand dîner littéraire auquel j’ai assisté était celui du Pen, tous les écrivains célèbres étaient là. Je me suis défoncé avant d’y aller, puis soûlé à table, entouré de toutes ces grandes lumières de la littérature. Je leur ai dit qu’on devrait aller boire un coup ailleurs au lieu de rester là à subir le énième speech d’un énième écrivain imbu de lui-même et uniquement là pour déclarer à quel point il est génial – parce qu’au fond, ça n’est que ça.Lunar Park venait de paraître, et les prétendus compliments que ces gens m’en faisaient était du genre passifs agressifs, typique de la façon dont ils se parlent dans ce milieu à New York. J’ai décidé de quitter tout ça.”
“Obama est une victime sacrificielle”
Dans un autre genre, alors que tant d’écrivains ne tarissaient pas d’éloges à longueur d’interviews pour soutenir Obama, Bret Easton Ellis est l’un des rares à avoir refusé de s’exprimer, déclinant toute demande d’interview au moment de l’élection américaine : “Même si la joie de se débarrasser de Bush était totalement justifiée, je ne voulais pas participer à ce grand moment de sentimentalisme collectif au sujet d’Obama. Je l’aime bien, mais on est tellement dans la merde qu’il ne pourra pas faire de miracle, on court à la déception. Obama est une victime sacrificielle : chaque personne qui occupe ce poste est avalée par la machine. Je n’ai aucune confiance dans le système politique.”
Il allume une dernière cigarette, avale une rasade de Coca, fait teinter les glaçons dans son verre. Si l’exorcisme de ses livres fonctionne, alors Bret Easton Ellis doit être devenu une personne merveilleuse, qui appréhende l’existence avec plus de douceur, de sérénité. “C’est vrai que je ne suis plus l’homme que j’ai été. Mais suis-je une bonne personne pour autant ? Beaucoup vous diront le contraire. J’ai déçu tellement de monde… Ce dont je suis certain, c’est que je suis meilleur que mes narrateurs, je ne suis pas intéressé par la violence, d’ailleurs je déteste la violence. Oui, je peux comprendre un crime passionnel, ce qu’a commis O. J. Simpson, je me suis retrouvé dans la même situation, j’ai été poussé à cette limite. Sauf que moi, je suis incapable de tuer. Et puis, je suis aussi une personne beaucoup plus légère que mes narrateurs. J’aime rire.”
En effet, on aura rarement vu autant de distance amusée, presque stoïque – l’humour noir des grands torturés ? En maître de l’ironie, Ellis avait eu la réaction la plus drôle au moment de la mort de Salinger : tweeter une injonction à se réjouir et à faire la fête. “J’adore Salinger mais je n’ai pas pu résister. Ici, la moitié des gens qui ont vu ce tweet n’ont rien compris. On m’a même menacé de mort !” Avant de partir, il nous invite à la fête donnée pour le lancement de Suite(s) impériale(s) au Chateau Marmont. Quand on lui répond qu’on sera hélas de retour à Paris : “Oh, vous ne ratez rien. Ce sera très ennuyeux. Vous savez, un cocktail littéraire, c’est toujours très, très ennuyeux…” Avec lui, on en doute.
Suite(s) impériale(s)de Bret Easton Ellis (Robert Laffont), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina, 234 pages, 19 €, sorti le 20 septembre 2010
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