Le Mississippi, le Ku Klux Klan, les sixties dans un polar poisseux et aussi noir que son titre.
Dans l’arrière-boutique d’Albert, vieux disquaire noir au grand cœur et à l’âme rebelle, des couples biraciaux se retrouvent incognito. Pour couvrir le bruit de leurs ébats, “Monsieur Albert” hurle des airs de blues. Une nuit, la voiture du shérif se gare devant son garage. Quatre hommes cagoulés sortent ; l’un d’eux tient un baril d’essence dans ses mains…
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La scène d’ouverture de Brasier noir annonce ce qui va, sur plus mille pages, intéresser Greg Iles. Dans les années 1960, plusieurs Etats du sud des Etats-Unis devinrent le théâtre d’opérations particulièrement atroces du Ku Klux Klan – meurtres, tortures, lynchages menés dans l’ombre, connus de tout le monde mais dénoncés par personne. Des crimes commis par des hommes appartenant à l’élite en place – policiers, politiciens, avocats, médecins – qui ne furent pour la plupart jamais jugés, le FBI de Hoover préférant classer sans suite des affaires compromettant certains de ses membres les plus hauts gradés.
Brasier noir est un thriller sombre, poisseux, cru, comme le sont la nature et les hommes sur les bords du fleuve Mississippi. Ses mille pages et quelques se concentrent sur un territoire bien particulier, l’Etat du Mississippi, “cet endroit que la plupart des gens considèrent comme différent alors qu’il incarne précisément l’âme torturée de l’Amérique”, comme le décrit l’auteur. L’essentiel de l’action se déroule même dans la petite ville de Natchez, où Greg Iles a grandi. C’est à la suite d’un accident de voiture qui manqua lui coûter la vie que cet écrivain à succès s’est lancé dans ce premier tome d’une trilogie dantesque.
Une décennie traumatisante pour les USA
Si l’atmosphère, faite de paranoïa, de machiavélisme et de cynisme politique absolu, fait penser au James Ellroy d’Underworld USA, l’écriture sobre, descriptive, la place donnée aux dialogues comme aux non-dits, enfin et surtout la place laissée au fantastique, au mystère, à l’interprétation, évoque un autre chef-d’œuvre du genre, traitant de la même époque : La femme qui avait perdu son âme de Bob Shacochis.
A l’heure où l’on commémore Mai 68 comme la révolution des beatniks, hippies et utopistes de tous poils, Brasier noir rappelle sans épargner qui que ce soit que les sixties furent, outre-Atlantique, la décennie traumatisante du bourbier vietnamien, des assassinats successifs de Martin Luther King et des deux frères Kennedy. Trois héros nationaux autour desquels le livre gravite, comme ces grands films qui savent créer un hors-champ où – au fond – tout se joue.
Brasier noir (Actes Sud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Aurélie Tronchet, 1 056 pages, 28 €
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