Virtuose du non-académisme et dessinateur grinçant, Gus Bofa reste une influence vivace de la bande dessinée moderne. Alors qu’une belle biographie lui est consacrée et qu’il est exposé à Angoulême, témoignages de trois éminents auteurs de BD.
Bofa par Vincent Brunner
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De son vrai nom Gustave Blanchot, Bofa a d’abord été un illustrateur en vogue de la Belle Epoque. La Première Guerre Mondiale le change à jamais : il en revient infirme (après s’être battu pour ne pas se faire amputer) et atteint par une incurable noirceur. C’est pourtant pendant l’entre-deux guerres qu’il se montre le plus actif. Il crée le Salon de l’Araignée*, incroyable laboratoire autour du dessin, joue au critique littéraire pour le Crapouillot, illustre Mac Orlan ou Cervantes. Surtout, il signe ses chefs-d’œuvre personnels : Synthèses littéraires et extra-littéraires, Slogans, Malaises ou Le Livre de la Guerre de cent ans. Des livres où se mêlent une écriture d’une farouche concision, un trait impressionnant d’énergie et une fantaisie souvent macabre. En 1968, ce dandy meurt à l’âge de 85 ans, alors qu’il s’était fixé à jamais l’âge de 37 ans, pour se libérer du poids encombrant de la vieillesse.
Emmanuel Pollaud-Dulian, Gus Bofa l’enchanteur désenchanté, éditions Cornélius).
Exposition Gus Bofa l’adieu aux armes Site Castro, 121, rue de Bordeaux, du jeudi 30 janvier au dimanche 2 février 2014, Angoulême.
* Voir Emmanuel Pollaud-Dulian Le Salon de l’Araignée, éditions Michel Lagarde
Bofa par Charles Berberian
Avec Gus Bofa, c’est comme avec le Velvet Underground. Ceux qui ont écouté le Velvet sont devenus musiciens, ceux qui lisent les livres de Gus Bofa sont devenus des dessinateurs ! Je l’ai découvert notamment grâce à Tardi qui en parlait souvent en interview. A la fin des années 80, je faisais partie d’une bande avec François Avril ou Yves Chaland, on se repassait les éditions originales de Bofa, Slogans ou la Symphonie de la peur. Une des raisons pour laquelle nous, dessinateurs, sommes fascinés par Bofa, c’est son énergie à l’état brute. Le mouvement continu de la main vers la feuille sans que le cerveau ou la raison ne se mettent trop en travers. Bofa a ce côté jeté, aussi révolutionnaire et étonnant que pouvait avoir l’option brut des premiers disques du Velvet Underground. Ses dessins ont de la puissance mélangée à de la nonchalance.
Lui, à l’époque, allait dans une voie plus noire et punk que ses amis illustrateurs. C’est quelqu’un qui voyait l’être humain avec une lucidité qui fait froid dans le dos. Son humour noir m’a énormément touché, d’autant qu’il a une acuité littéraire au moins aussi acérée que sa pointe de crayon. Il frappe juste et là où il faut. Et pourtant, il manque de reconnaissance. Peut-être traine-t-il comme une mauvaise conscience dans la culture visuelle française ? Parce que c’est quelqu’un de pas très acceptable au fond, de pas très correct, un personnage profondément en colère. Cette colère se voit dans son trait et en même temps il y a une espèce d’humanité qu’il ne peut effacer. Comme sa manière de dessiner les femmes, cette sensualité qu’il arrive à mettre dans son dessin en la juxtaposant à quelque chose de cauchemardesque et monstrueux. Enfin, l’influence de Bofa c’est de mettre le dessin en avant. Personnellement, je veux être un dessinateur à la hauteur de l’idée que je me fais de ce que peut être le dessin, à la hauteur de ceux que j’apprécie. Je fais ma tambouille et Bofa, comme Franquin ou Alechinsky, est un des ingrédients extrêmement présent.
Dernier livre paru : Paris avec Olivier Bauer
Bofa par Jacques Tardi
J’ai découvert ses dessins dans la revue publiée pendant la Première Guerre Mondiale, La Baïonnette. Bofa n’a pas vraiment fait de bande dessinée, juste quelques petits trucs en 3-4 images, mais dans sa filiation, on trouve Saint-Ogan et Hergé. Ce que j’aime dans son dessin, c’est une espèce de lourdeur. Les personnages adhèrent bien au sol, ils ont un côté à la fois mou et sensuel, avec des gueules bien structurées. Le livre de lui que je préfère c’est Malaises où Bofa montre tous ces instants flippants de la vie : le mec qui regarde à la fenêtre, le type à la gare tout seul qui attend son train. Des moments que l’on a tous éprouvés, le 14 juillet avec la petite fête, le manège… Tout ce qui est censé être un moment de réjouissance devient en fait assez triste. Visiblement Gus Bofa n’arrivait pas à jouer le jeu. Moi aussi, les fêtes foraines, ça m’a toujours paru d’une tristesse consommée !
Dernier livre paru : Putain de Guerre, éditions Casterman
Bofa par Nicolas de Crécy
Quand j’ai découvert Gus Bofa, j’ai ressenti un plaisir de l’œil, un étonnement face à la modernité de son trait. Je l’ai vu comme une passerelle entre les gravures de Rembrandt, les dessins de presse de L’assiette au beurre et la bande dessinée actuelle. Son œuvre est dynamique, dansante et juste. Organique et vivante. Sans effet, directe, et puissante. Elle influence donc tous ceux qui l’apprécient et qui tiennent un crayon ! Dans mes influences, je peux seulement dire qu’il y a une sorte de socle dont Bofa est un composant important. Ses dessins ont cette force, celle de dire plus qu’ils ne montrent, de jouer assez finement sur ce qui se passe hors cadre, dans une sorte de tension, qu’il a su traduire de manière temporelle : un avant et un après… contenus au sein même de l’image. La bande dessinée joue aussi sur ce principe, mais la poésie d’un seul et unique dessin me touche plus, par l’espace qu’il laisse à l’imagination. Les œuvres de Bofa que je préfère ? Celles qui mettent en avant ses qualités littéraires, la finesse du rapport qu’il propose entre ses textes et ses dessins. Je me suis aussi intéressé à sa vie personnelle. Bofa avait une grande gueule de boxeur, une gueule qu’on a envie de dessiner, et – ça n’a rien à voir – parce qu’il est mort quand j’avais deux ans, à Aubagne où j’ai longtemps habité.
Dernier livre paru : New York-sur-Loire, éditions Casterman
Recueilli par Vincent Brunner
site officiel : gusbofa.com
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