L’Amérique des rednecks invitée à la table de conservateurs bon teint ? C’est le pari romanesque du nouveau sale gosse de la littérature américaine, Joey Goebel, dans une comédie politique hilarante.
C’est comme si Sarah Palin tombait enceinte de George Bush et accouchait du Big Lebowski. Reste à imaginer la suite. A 30 ans et deux romans déjà traduits, dont Torturez l’artiste, Joey Goebel conforte dans l’idée que la littérature américaine a encore quelques sales gosses à son arc, une série de trublions prêts à en découdre avec l’ordre établi. Ex-chanteur dans un groupe de punk, critique musical et scénariste, ce jeune auteur culotté érige dans Blue Gene un portrait décapant de l’Amérique des disparités sociales.
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Le décor du livre est une ville ouvrière du Middle West « d’environ cinquante mille habitants, soit trois McDonald’s ». Bienvenue au pays des rednecks : ses Walmart, ses banques à tous les coins de rue, son marché aux puces. C’est là que Blue Gene, 27 ans, tatouages et coupe mulet, tongs noires sur chaussettes blanches, gagne sa vie en revendant ses jouets d’enfant. En quelques pages bien senties, Goebel façonne une jolie palette sociologique, assemblage chaotique de latinos, de retraités et de vétérans de guerre, au milieu duquel va débouler Elisabeth Mapother, héritière d’un magnat du tabac, douzième fortune des States et… mère de Blue Gene.
Et voilà comment un loser aux cheveux gras se retrouve à la table d’une famille de conservateurs catho-intégristes s’étant mis en tête de briguer le Congrès. Jouant à partir de là sur un grand écart entre deux Amériques, Blue Gene va s’aventurer, au-delà de la farce familiale, dans les sables mouvants de la comédie politique. L’instrumentalisation du vilain petit canard par ses parents à des fins électoralistes fournit un prétexte idéal : embrigadé dans la campagne de son frère, Blue Gene, avec son aura de hippie, se retrouve dans le rôle du charmeur des masses populaires.
Evidemment, rien ne se passera comme prévu. Secret de famille sordide, vocation humanitaire inopinée… Goebel nous plonge dans le monde d’une élection locale versant républicain, entre meetings et discours patriotiques (et démagos), écrans géants et crucifix, trompettes et drapeau ensanglanté retrouvé dans les décombres du World Trade Center. Le regard est narquois mais le souci documentaire constant. Facétieux, Goebel met à nu les rouages d’un spectacle autant qu’il interroge deux tendances idéologiques, dont le télescopage date des deux premiers wasps accostant sur les rives du Nouveau Monde.
En creux, l’auteur soulève quelques questions limpides et insolubles. Le capitalisme peut-il tolérer l’altruisme ? Est-on capable d’être « libre » sans écraser les autres ? Mais encore : peut-on être un parangon de la contre-culture et utiliser du shampooing ?
Emily Barnett
Blue Gene de Joey Goebel (Editons Héloïse d’Ormesson), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Samuel Sfez, 592 pages, 23 euros.
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