En amour, les SMS auraient dû nous rapprocher. Et si c’était le contraire ?
Dans son nouvel essai, Chantal Thomas regrette l’art de la conversation. Dans son article sur le volume des lettres d’Althusser à sa femme Hélène, Philippe Azoury constate : « (…) ce qu’ils ne se sont pas écrit, ils se le sont dit en face – l’amour avant Facebook« .
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’amour avant Facebook, les mails, les SMS, ça ressemblait à quoi déjà ? A relire Les Liaisons dangereuses, sorti récemment en Pléiade, on se dit que la lettre, contrairement à tout notre attirail techno de communication, n’empêchait pas de vivre. Même Valmont, ce grand cynique, aime au risque d’en mourir.
Si SMS, mails et autres auraient dû nous rapprocher, ils semblent au contraire nous avoir permis d’éviter toute prise de risque. On a tous autour de nous des histoires qui tournent (court) via SMS. Tel ami qui a passé un mois à attendre un rendez-vous avec une fille qui le menait en bateau sans jamais dire clairement non (« demain peut-être » ; « finalement, après-demain ?« ).
Un autre encore, qui branche sur Facebook sans jamais consommer, histoire de ne pas tromper sa femme. Telle amie qui maintient plusieurs « liaisons » à coups de SMS allumeurs, sans jamais passer à l’acte. Une autre qui reçoit des « tu me manques » d’un homme qui annule pourtant chaque rendez-vous à coups de « Ma mère s’est fracturé le col du fémur« .
Le texto permet de distiller l’ambiguïté, de maintenir l’autre en attente, tout en le frustrant éternellement – symptôme d’une hystérisation généralisée, d’une peur de vivre, de jouir, de se confronter à l’autre sexuellement ou en paroles. Seule consolation : si Madame Bovary avait vécu au début du XXIe siècle, elle n’aurait pas eu besoin de se suicider. Mais Flaubert aurait-il écrit un aussi grand roman ?
Nelly Kaprièlian
{"type":"Banniere-Basse"}