Deux portraits brûlants de la France contemporaine, signés Virginie Despentes et Michel Houellebecq, ont donné le ton. La littérature se frotte de nouveau au réel quand celui-ci s’assombrit. La meilleure arme pour penser et reconquérir le monde.
Beaucoup de choses ont changé depuis l’année dernière. Aujourd’hui, par exemple, un écrivain vit, en France, sous protection policière. Depuis les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, le gouvernement a assigné une protection auprès de Michel Houellebecq, renforcée depuis le 13 novembre. Un symptôme qui parle de lui-même.
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En janvier, son Soumission irradiait d’une lumière noire, pendant que Vernon Subutex de Virginie Despentes propageait un clair-obscur jusqu’à l’été avec la parution de son deuxième volume. Peut-être faut-il voir Michel Houellebecq et Virginie Despentes, qui ont publié leurs premiers livres (Extension du domaine de la lutte et Baise-moi, romans chocs, qui avaient alors déjà secoué notre littérature) la même année, en 1994, comme les deux faces d’une même pièce : chacun aura pressenti, analysé, dit la France d’aujourd’hui, d’une manière en apparence opposée. Sans aucun optimisme ni concession du côté de Houellebecq, avec empathie et espérance de la part de Despentes. L’un a été rejeté, l’autre adulée.
Si Soumission est un livre déplaisant, dérangeant, ce n’est pas parce qu’il serait islamophobe, ni qu’il ferait le jeu de Marine Le Pen, comme l’a dénoncé une partie de la critique en s’empressant d’expédier le bébé avec l’eau du bain. Au-delà d’une société post-soixante-huitarde que Houellebecq a toujours restituée comme une impasse, c’est sa vision de l’humain, veule, intéressé, opportuniste, qui a hérissé.
Le spectre de l’extrême droite
Dans Soumission, les personnages instrumentalisent l’islam à des fins politiques, et la politique à des fins personnelles, dans un seul but : s’assurer un maximum de confort. L’homme, chez Houellebecq, n’est qu’un organisme, prêt à tous les renoncements pour garantir sa survie, quitte à soumettre les autres, et se soumettre à n’importe quelle idéologie. A-t-il tort ? C’est la question que posent les votes massifs pour le FN aujourd’hui.
L’extrême droite est certes très présente chez certains des personnages de Vernon Subutex 1 et 2, sauf qu’ils n’appartiennent pas – comme on a tendance à le dire – aux classes défavorisées. Ce sont de bons bourgeois installés. La radiographie de la société française que nous livre Despentes n’est au fond guère plus optimiste que celle de Michel Houellebecq, sauf qu’elle montre qu’il est possible de résister.
Mais parmi ses personnages, qui voit encore les centaines de SDF qui crèvent lentement dans les rues de Paris ? Qui s’en soucie ? Dans Vernon Subutex 2, une petite communauté utopique va se former. Profondément politique, le roman de Despentes semblait offrir une solution : se recréer en microsociété au sein d’un monde où, au fond, rien n’a changé de l’habituel jeu des classes sociales.
Des prix littéraires globalement réjouissants
S’il y a une conclusion à tirer de cette année, c’est que nous aurons eu le bonheur de voir des écrivains présents depuis longtemps se surpasser, publier de grands livres, passer à la vitesse supérieure. Ainsi de Simon Liberati avec son magnifique Eva, portrait de sa compagne Eva Ionesco doublé d’un autoportrait servi par une écriture poétique, envoûtante, quasi ésotérique autour des mystères du destin.
Ou encore Christine Angot qui signait à la rentrée l’un de ses romans les plus forts depuis Pourquoi le Brésil ? : avec Un amour impossible, elle parvenait à raconter son enfance et l’évolution de son rapport à sa mère, presque minute après minute, et c’est la marque des plus grands écrivains. Si, cette année, les prix littéraires nous ont plutôt réjouis, on regrette qu’Angot n’ait pas remporté un prix important (même si le Décembre est un belle récompense). Elle l’aurait, plus que les autres, mérité.
Au rayon littérature étrangère, c’est le Parapluie de Will Self qui nous a impressionnés : une œuvre d’art absolue, sublime, à la limite de la magie, où l’auteur d’Ainsi vivent les morts réinventait la langue, mixant pensées, impressions, perception, temporalités, déformant le réel par le prisme des flux de conscience de ses personnages. Une preuve de courage et d’exigence littéraires comme peu d’écrivains en sont capables.
Réhabilitation de la fiction “pure”
Cette année, on aura aussi senti une nouvelle tendance commencer à émerger, hors de l’autofiction ou du roman dit “politique” (l’islam fut très présent dans la fiction, de Mathias Enard et Boussole à Boualem Sansal et 2084). Des auteurs ont en effet entrepris de réhabiliter la fiction puissance 15000, en revisitant des genres : l’horreur chez un nouveau venu, Jérémy Fel, avec Les Loups à leur porte, le roman noir chez Marisha Pessl avec Intérieur nuit, l’étrange chez Delphine de Vigan qui mettait D’après une histoire vraie sous l’égide de Stephen King.
Si 2015 aura été très sombre, entre les attentats terroristes qui ont fait tant de morts et la montée en puissance de l’extrême droite, force est de reconnaître que, sur le plan littéraire, ce fut une année merveilleuse.
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