Les trois premières enquêtes d’Hubert, détective privé en mobylette dans la campagne profonde des années 60. Inventées par le tendre et rosse Bruno Heitz, elles sont superbement rééditées.
Beaulieu-sur-Morne, c’est le cauchemar de ceux qui ont étalé leurs étés d’enfance dans des villages horizontaux, sans mer ni montagnes, cancéreux de rumeurs et de rancoeurs, de non-dits et de jalousies. Ce village, c’est un peu Twin Plouc, c’est le Gargilesse du chanteur Florent Marchet, c’est l’affiche de « La force tranquille » : un petit éden en apparence, avec son clocher et son Economia. Un enfer à petites flammes en réalité.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le héros de Bruno Heitz est un zéro : Hubert. Pour arrondir des fins de mois claudiquantes, il fait le détective dans son hameau, profitant de ses tournées en Tube Citroën d’épicier en marchandises pas forcément fraîches pour interroger fermiers et femmes désoeuvrées. Chabroliennes, ses aventures le font croiser un Hergé hautain, des petits notables couards, de la white trash qui tue à l’arme blanche pour quelques anciens francs.
Car ce sont les années 60 d’une France dont personne n’a la nostalgie, dans une campagne écrasée par le néant, que raconte cette série de neuf histoires, dont les trois premières sont rééditées aujourd’hui sous un seul volume. Ça pourrait être tendre et doux comme le sépia, confortable comme la mélancolie sourde, mais c’est violent et d’une justesse effroyable.
Bruno Heitz, qui a écrit beaucoup de livres pour enfants, n’aime visiblement pas beaucoup les adultes – ou ceux qui y jouent -, leur France rance et leurs ambitions qui dépassent rarement le canton. Ici, l’épanouissement ultime semble être de rouler en Simca au lieu du vélomoteur qui sent l’huile. Et pourtant, il ne regarde jamais de haut cette France de tout en bas.
Pas la moindre condescendance pour scruter jusque dans leurs manies et leurs rituels les petites vies qu’il passe au microscope. Heitz les observe en ricanant, mais avec une tendresse, une empathie qui interdisent la caricature. Si ces histoires étaient une chanson, elle serait de Bourvil ; si elles étaient un film, il serait de Tati. C’est à ce niveau d’humanité rosse que se jouent ces chroniques.
J.D Beauvallet
Un privé à la cambrousse, vol. 1 (Gallimard), 336 pages, 21€.
{"type":"Banniere-Basse"}