Le destin tragique du père de l’auteur Antonio Altarriba dans l’Espagne franquiste.
Pour se racheter de ne pas avoir sauvé son père du suicide, de ne pas avoir su être à son écoute, et pour tenter d’expliquer ce qui a pu pousser un vieil homme de 90 ans à se jeter dans le vide, Antonio Altarriba fils a décidé de raconter son histoire.
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Né en 1910 dans la campagne près de Saragosse, Antonio passe sa jeunesse à essayer de fuir l’ennui et les travaux des champs. Dès qu’il le peut, il part s’installer en ville où il vit de petits boulots. Il se met à fréquenter des sympathisants anarchistes malgré des convictions politiques assez molles. Mais au lendemain de l’avènement de la République, en avril 1931, elles vont s’affermir brusquement. Le coup d’Etat militaire, la guerre civile et une bastonnade par des phalangistes, décrits dans des scènes d’une grande précision historique, vont lui ouvrir les yeux et le pousser à se battre aux côtés des Républicains puis de la Résistance française.
Après la guerre, pas assez profiteur ou débrouillard pour s’en sortir, déçu de voir la cause républicaine espagnole trahie, il décide de renoncer à se battre, remise ses idéaux et rejoint l’Espagne de Franco.
« Tant mieux, enfin je ne vois rien », s’écriet-il dans une scène allégorique où un aigle franquiste lui crève les yeux. Sa vie ira ensuite de déception en déception.
Destin représentatif de la tragédie vécue par une population espagnole perdue et divisée durant les trois premiers quarts du XXe siècle, L’Art de voler est surtout une cruelle fable sur la renonciation, les illusions perdues, la ligne ténue entre les lumières de l’espoir et la noirceur de la réalité. Trop lucide, pas assez cynique, Antonio ne se remettra pas de ses compromissions, de son aveuglement pourtant volontaire.
Pour mieux adhérer au passé de son père, pour supprimer toute distance » qui ne correspondait pas à notre relation », Antonio Altarriba a choisi de ne pas écrire son récit à la troisième personne mais de se glisser dans la peau de son père. Une sorte de transfert/exorcisme qui donne à cette tragédie intime et familiale une grande intensité, compensant la simplicité peu expressive du dessin.
Anne-Claire Norot
L’Art de voler (Denoël Graphic), dessin Kim, traduit de l’espagnol par Alexandra Carrasco, 216 pages, 2 3,50 euros
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