Sur le Japon des sixties en pleine mutation, un recueil de nouvelles signé Masahiko Matsumoto.
La Fille du bureau de tabac est la première parution en français de Masahiko Matsumoto, un des membres fondateurs du mouvement gekiga, avec notamment Yoshihiro Tatsumi (L’Enfer) et Yoshiharu Tsuge (L’Homme sans talent).
Apparu à la fin des années 50, le gekiga désigne une bande dessinée adulte se penchant sur des sujets de société. Ce recueil de nouvelles met en scène des jeunes filles débrouillardes – certaines gagnent leur vie comme représentantes en préservatifs – et des garçons pas très dégourdis, qui tournent en rond chez eux et se laissent porter par l’air du temps en rêvassant. Tous doivent faire face à des problèmes typiques de leur époque : mariages arrangés, avortement, alcoolisme, chômage, désoeuvrement…
Le Japon de Masahiko Matsumoto est celui des années 60 et 70, un pays en pleine mutation économique, où la vie est difficile pour les classes moyennes, où il faut s’adapter sans cesse aux changements de la société, où la jeunesse remet en cause le modèle ancestral. Les personnages sont toujours sur le fil, dans des situations incertaines et instables, hésitant à prendre des décisions, toujours entre deux boulots ou deux prétendants, déménageant inopinément.
[attachment id=298]En arrière-plan, Masahiko Matsumoto décrit avec justesse un Japon lui aussi en mouvement, peuplé de chantiers de construction, d’immeubles en démolition. Les protagonistes de La Fille du bureau de tabac essaient pourtant de surnager. Ils fuient leurs préoccupations dans l’insouciance (ou l’alcool), gardent l’espoir que l’entraide et le rêve apporteront des jours meilleurs. L’auteur, qui manie à ravir l’ellipse et le sens du burlesque, laisse d’ailleurs toujours imaginer que les choses ne sont pas si graves et peuvent finir par s’arranger.
Moins sombre que Tatsumi, moins introspectif que Tsuge, Masahiko Matsumoto raconte son pays avec une douceur qui dédramatise les problèmes, sans les nier pour autant. Une brise d’utopie seventies pour atténuer la noirceur du quotidien.
Anne-Claire Norot
La Fille du bureau de tabac (Cambourakis), 272 pages, 21 €