On a rencontré l’auteur de « Lastman » qui sort « Le Chemisier »
Une jeune femme se métamorphose grâce à un chemisier en soie… Avec Le Chemisier, un album qu’il voit comme une comédie, Bastien Vivès donne sa version des rapports hommes-femmes…entre autres. Entretien avec un auteur qui ne cesse de chercher.
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Quand as-tu eu l’idée du Chemisier ?
Bastien Vivès : A un moment j’étais obsédé par le climat assez pesant, il y avait le terrorisme, ce qui se passe sur les réseaux sociaux, le mouvement #metoo, etc. Tout le monde restait dans son coin. Il y avait une fausse solidarité. « Les attentats, ça nous a tous réunis« … Alors que tu vois uniquement des flots de haine et de violence sur les réseaux sociaux. Tout s’est déclenché au moment où j’ai acheté un chemisier pour ma femme. Je me disais : « c’est quand même très beau, très classique, un chemisier« . Moi-même, j’étais presque jaloux, j’aurais bien aimé le porter. Tout d’un coup, il y a eu une concordance dans ma tête.
Comment as-tu imaginé le personnage de Séverine dont le chemisier emprunté change la vie ?
Désormais, quand j’écris une histoire, il faut vraiment que toute sa force soit justifiée par le medium bande dessinée. Là, c’était parfait comme challenge : je représente exactement la même fille et, juste par le dessin, elle passe d’une nana complètement lambda et insignifiante à une séductrice. En changeant pratiquement rien… même pas la coupe de cheveux.
Ce chemisier, c’est son artefact magique ?
Il y a un peu de ça. Aujourd’hui, quand on fait le portrait d’une femme au cinéma, ça devient une espèce de super-héroïne qui réalise un exploit. En gros, j’ai fait la même chose sauf que je n’ai pas oublié que les êtres humains ont des qualités et des défauts. Oui, super, Séverine a gagné en confiance. Mais elle est complètement larguée cette pauvre fille. Son réveil est lié à ce chemisier qui l’obsède. Il faut être fou, non ?
Le pitch de l’histoire est autant improbable !
Franchement, avec ce pitch, on dirait une comédie à la Thomas Langmann ou à la Dany Boon (prenant une voix de bande-annonce) « ce chemisier va changer sa vie« . Je me suis dit que, comme ça, niveau adaptation, ça sera beaucoup plus facile à vendre. Je vais moins batailler avec mon banquier ha ha. Oui, ce bouquin, c’est une grosse comédie, un de mes livres les plus drôles.
Tes albums se focalisent pour la plupart sur des personnages féminins. C’est plus stimulant ?
Ce que je préfère dessiner avant tout c’est l’élégance, la grâce, le mouvement. Ce sont des choses que les animaux possèdent, une panthère ou un oiseau, c’est magnifique à dessiner. Les sportifs, les danseurs et certaines femmes ont aussi cette élégance naturelle. Les mecs moins, ou alors ça tient à la manière de fumer ou à des attitudes. Moi, j’adore dessiner donc je me tourne souvent vers des femmes.
Il s’agit aussi d’un un livre sur le paraître ?
Je voulais donner ma vision des rapports hommes-femmes, du féminisme. On a parfois l’impression aujourd’hui que, pour qu’une femme soit épanouie, il faut qu’elle tape du poing, qu’elle soit une espèce de mec. Je n’arrive pas à comprendre ça. Dans Lastman nos personnages féminins sont badass mais elles font aussi plein d’erreurs. Elorna est butée, c’est une militaire, la meuf la moins marrante du monde. Marianne, c’est simple, tous les mauvais choix, elle les a faits. Le côté super nana qui a toutes les qualités du monde, trois enfants et un super job, si vous voulez mais je ne trouve pas que ça soit un exemple à suivre… Je préfère celle qui fume des clopes et lit des bouquins, qui a son petit boulot et boit un petit verre d’alcool.
A un moment, Séverine est quasi harcelée…
Oui, elle se fait solliciter à chaque case, elle perd un peu les pédales. J’aime bien que, dans l’histoire, les cartes se redistribuent. Après, j’aime moins le fait qu’on perde une certaine intelligence. C’est triste de se dire que l’on est obligé de rééduquer les gens, de leur faire comprendre qu’il ne faut pas violer ou harceler une femme dans la rue.
Comme dans d’autres de tes livres, dès que tu représentes une fille, il y a une part de fantasme…
Evidemment, je ne suis pas une fille. Mais comme je les côtoie tous les jours, je pense quand même que je suis légitime à parler en leur nom. Les filles devraient se sentir légitimes de parler au nom des mecs, sans aucun souci. Je déteste cette croyance que si tu n’es pas ci ou ça, tu n’as pas le droit d’en parler. A un moment donné, il y a aussi des trucs qui s’appellent le recul, l’observation. Ce qui est bien avec la bande dessinée, c’est qu’il y a toujours une part de fantasme dans la représentation de l’image. Pour le coup, je ne prends pas en traitre mon lectorat, il sait qu’il y a dans l’album des choses fantasmées.
Que l’histoire soit la plus limpide, est-ce important pour toi ?
C’est un de mes livres les plus difficiles à lire. J’ai essayé d’être le plus concis dans ma narration. Avant, dans Le Goût du chlore par exemple, il s’agissait davantage d’une narration de dessin animé avec storyboard. C’est rigolo mais ça ne nourrissait pas forcément l’histoire qui était très pauvre. Dans celui-ci, il y a vraiment des moments où on a l’impression que rien ne se passe et, pourtant, dans chaque case j’essaye de mettre l’essentiel, je ne veux pas m’embêter avec le superflu. C’est pour ça qu’il demande un petit peu d’effort, des petits détails demandent d’être attentif. Si jamais personne ne le comprend, hé bien, je referai les livres comme avant, des histoires plus simples. D’habitude, je prône une bande dessinée qui se lit très vite, de manière boulimique. Là, pour le coup, j’espère que c’est un bouquin que les gens vont finir, reposer, en parler et le relire.
Le cinéma t’inspire-t-il toujours ?
Oui, parce qu’il y a cette espèce de magie. Les gens sont incarnés par des acteurs. Je suis ébloui quand je vois Piccoli, je me dis que son personnage existe vraiment mais que, même si c’est un rôle de composition, il y a une part de lui. Dans la bande dessinée, on n’a pas d’acteurs, ni de réel, il faut se créer un terrain de jeu avec le lecteur. Quand j’ai commencé, comme certaines personnes ne savaient pas en lire, il fallait un peu les aider. Maintenant, je me dis : « ok, on va pousser le bouchon un peu plus loin« .
Et la littérature ?
Avant, je ne lisais pas, ça fait un an que je m’y attaque. Evidemment, je me prends des parpaings dans la gueule. En ce moment, je lis Houellebecq, ça me réveille. Je me dis qu’en bande dessinée, il faut créer une œuvre aussi puissante. C’est un medium jeune, il y a déjà des grands albums de BD mais je pense que l’on peut aller chercher plus loin. Il y a des gens que ça déprime de lire quelque chose de puissant. Chez moi, ça dure quelques minutes et, après, j’ai la gnaque pour essayer de me mettre un peu en danger. Là, je prépare avec un journaliste un bouquin qui, je pense, va être très intéressant. Ça va parler de la France, ça sera plus ouvert et sérieux que mes précédents livres.
En parallèle du Chemisier, tu publies aussi le coquin Petit Paul, spin-off des Melons de la colère…
C’est beaucoup plus gag. Ce que j’aime bien, c’est garder le côté innocent des enfants. Ce n’est pas la faute de Petit Paul mais, à chaque fois, manque de bol, il tombe la quéquette à l’air sur quelqu’un ! Moi, ça me fait beaucoup rire. C’est tellement cartoon…à quel moment on peut prendre ça au sérieux ?
Dans Le Chemisier, il y a aussi l’innocence de la gamine que Séverine garde quand elle fait du babysitting…
Cette gamine désigne son sexe comme un papillon, je trouve que c’est une belle métaphore sur la sexualité féminine. Pour les nanas, c’est plus compliqué, il y a un apprentissage. Alors que les mecs ils savent qu’ils doivent mettre leur bite dans un trou. Ce n’est pas pour rien que tous les gamins tombent sur leurs parents en train de baiser. Tu comprends la mort avec la mort du grand-père, tu comprends qu’il faut baiser en surprenant tes parents.
Bastien Vivès Le Chemisier, éditions Casterman, 208 pages, 20 euros
Petit Paul, éditions Glénat, 128 pages, 12,90 euros
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