Des enfants sans père, un cirque et des prostituées : les thèmes fétiches de John Irving refont surface dans un roman fertile en tours de passe-passe.
A défaut d’avoir connu son père, Juan Diego Guerrero ne peut se plaindre de manquer de mères. La première, prostituée mexicaine, trouve la mort en époussetant dans une église une statue de la Vierge. La seconde, péripatéticienne elle aussi, mais du type travesti, offre au gamin une figure paternelle de substitution – en la circonstance un prêtre américain fasciné par cette alliance d’un pénis et d’une paire de seins.
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Quand cette famille adoptive lui permet d’accéder – aux Etats-Unis –au confort d’une adolescence middle class, la véritable vie de Juan Diego s’est toutefois déjà achevée. Avec le décès de sa sœur Lupe, il a perdu la part la plus précieuse de son être ; ou du moins aurait pu perdre, si ses rêves ne ramenaient la fillette à la vie jusqu’aux ultimes rebondissements.
Dickens des années LGBT
Sur cette trame marquée au sceau du merveilleux se greffent suffisamment d’apparitions, coïncidences, coups du sort et miracles pour rebuter tout adepte du minimalisme. Exubérant, sentimental et truffé de scènes de sexe, le quatorzième roman de John Irving est l’œuvre d’un Charles Dickens des années LGBT, d’un raconteur en roue libre, se souciant comme d’une guigne des impératifs de diététique littéraire.
Cette désinvolture – qui doit davantage à l’imaginaire enfantin qu’aux ateliers d’écriture de l’université de l’Iowa, où Juan Diego achève ses études, puis se découvre une vocation de romancier – joue toutefois contre le personnage le plus attachant du livre. Capable de lire dans l’âme et le passé des hommes, Lupe a l’invective aux lèvres et la révolte chevillée au corps.
Cassandre prépubère
En l’éliminant précocement – afin de permettre à son frère de prendre un nouveau départ, loin de l’attraction foraine où ils ont échoué, la fillette se sacrifie en se glissant dans une cage au lion –, Irving ampute Avenue des mystères de son cœur de noirceur. Privé de sa Cassandre prépubère, le roman dérive des Etats-Unis à l’Asie du Sud-Est et d’épisodes dramatiques en intermèdes érotiques ou loufoques.
Amoureux des cirques, Irving excelle dans les acrobaties et les tours de passe-passe ; si l’ensemble du spectacle a de quoi séduire, c’est à sa vedette extralucide qu’il doit ses véritables moments de magie.
Avenue des mystères (Seuil), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun et Olivier Grenot, 528 pages, 22 €
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