Après avoir fantasmé la bio de Bowie, l’auteur mêle fiction et réalité pour raconter l’histoire d’une émancipation. On attend déjà la suite.
“L’histoire peut devenir trop pesante parfois.” Au milieu de l’album, Néjib met dans la bouche du peintre Edgar Degas cette phrase révélatrice. Déjà, avec Stupor Mundi, sorti il y a deux ans, le dessinateur créait sa propre chronologie : il racontait comment un savant arabe imaginaire avait inventé la photographie au XIIIe siècle auprès d’un vrai empereur romain, Frédéric II.
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Egalement biographe fantasque de Bowie (Haddon Hall. Quand David inventa Bowie), Néjib aime jouer avec la réalité historique. Il inscrit ses récits dans les interstices et les failles du déjà connu, pour leur donner un trompeur et passionnant aspect de vérité. Avec le premier tome de sa première et ambitieuse série, Swan, il poursuit sur sa lancée, mêlant de manière limpide dans son intrigue événements réels et plausibles sans nous aider à démêler tout ça.
C’est en surfant sur Pinterest qu’il a eu envie de remonter aux sources du courant impressionniste – Le Buveur d’absinthe est une des premières œuvres de Manet. Si ce dernier, avec Degas ou Courbet, joue ici un rôle important, ce sont deux Américains fictifs, Scottie et sa sœur Swan, qui nous servent de guides et impulsent la dramaturgie.
Un Paris retrouvé d’une ligne souple et élégante
Le premier veut entrer aux Beaux-Arts, tout comme la seconde mais, dans le Paris des peintres du XIXe siècle où l’académisme tient encore à distance l’art moderne, on prive les femmes de ce droit.
Mêlant passion et émancipation dans l’esprit et le genre roman-feuilleton, ce premier tome séduit d’autant plus fortement que la reconstitution évite toute pesanteur. Néjib n’imite pas ses collègues un peu maniaques et perfectionnistes qui ont besoin de faire revivre le passé dans le moindre détail, fignolant parfois le décor avec l’appui de maquettes à l’échelle.
Non, son Paris disparu, le dessinateur le fait réapparaître après l’avoir digéré, se l’être approprié. Adepte d’une ligne souple et élégante, il esquisse à traits vifs et légers rues, paysages ou le Louvre, qui se révèlent, par la magie du style, tout à fait identifiables. Se terminant sur un coup de théâtre, Le Buveur d’absinthe promet une suite pleine de métamorphoses et de nouveaux départs. Vincent Brunner
Swan, tome 1 : Le Buveur d’absinthe (Gallimard Bande dessinée), 184 p., 22 €
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