Le cancer. Avec un sujet pareil, un autre écrivain en aurait fait des tonnes. Eric Reinhardt en a tiré un curieux objet littéraire, en construisant un deuxième roman dans son roman. Pour l’occasion, il se met en scène en train d’écrire un roman, personnage créant des personnages. Car l’auteur de Cendrillon ne se contente pas […]
Dans La Chambre des époux, livre sur le cancer de sa femme et récit de la lente maturation d’un roman, Eric Reinhardt déploie tout son talent.
Le cancer. Avec un sujet pareil, un autre écrivain en aurait fait des tonnes. Eric Reinhardt en a tiré un curieux objet littéraire, en construisant un deuxième roman dans son roman. Pour l’occasion, il se met en scène en train d’écrire un roman, personnage créant des personnages.
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Car l’auteur de Cendrillon ne se contente pas de se souvenir de la maladie. La traversée de l’épreuve est racontée dès le premier chapitre, qui avait été publié dans un numéro spécial des Inrocks en 2007 : avec sa femme (Margot dans le texte), ils avaient décidé de se lancer dans une lutte commune, elle contre le cancer, lui avec un manuscrit énorme dont chaque soir il lui lisait les pages rédigées dans la journée, comme dans un conte oriental. Jusqu’à la guérison de Margot et la publication de Cendrillon, succès critique qui a permis à l’auteur d’accéder à la notoriété.
Comme toujours, Reinhardt met en scène un personnage féminin à l’identité forte
Reinhardt sait trouver les mots pour évoquer le cataclysme et aborde des problématiques plus larges – la conjugalité, le désir, le corps, l’âge et la fidélité. Comme toujours, il met en scène un personnage féminin à l’identité forte et raconte avec justesse les différentes étapes que traverse Margot, entre angoisse et reconstruction.
On retrouve ici ce qui caractérise les romans d’Eric Reinhardt. L’étude du sentiment amoureux, un romantisme aigu et désespéré qui semble de plus en plus central dans son travail. Le romancier évoque par exemple la façon dont il s’éprend brièvement d’une autre femme, Marie, elle aussi très malade, porté par l’espoir fou de la sauver. Reinhardt fait preuve en outre d’une dose d’humour qu’on ne lui connaissait pas, en se décrivant dans une soirée littéraire, pitoyable aux côtés d’un écrivain écossais et d’une “Faye Dunaway des Lettres”.
Mais l’intérêt du livre tient surtout au fait qu’Eric Reinhardt confie avoir pensé à écrire un roman, Une seule fleur, sur l’histoire d’un compositeur, Nicolas, et de sa femme Mathilde atteinte d’un cancer. Ils lutteraient ensemble et chaque soir Nicolas jouerait à Mathilde un morceau d’une symphonie qu’il composerait pour elle.
Le lent processus de sédimentation nécessaire à une œuvre littéraire
L’auteur fait beaucoup plus que nous raconter ce roman, en l’enchâssant dans le roman lui-même : il se décrit en train de l’inventer. Le personnage de Reinhardt écrivain s’introduit dans l’histoire, avoue ses hésitations, on le voit cheminer à l’intuition pour échafauder la vie de son héros à partir d’une multitude d’histoires pensées, vues ou entendues. Alors on prend conscience du lent processus de sédimentation nécessaire à une œuvre littéraire, du temps infini que l’écriture romanesque exige, de l’étonnant puzzle que constitue un roman.
Dès lors, La Chambre des époux devient un formidable précis de littérature par l’exemple. Face aux éternelles questions qui ont surgi toutes ces années autour des relations entre fiction et réalité, autofiction et autobiographie, Reinhardt propose un livre en train de se construire.
“Je pourrais même vous montrer la table où je m’étais installé pour y passer l’après-midi et réfléchir à mon roman”
L’auteur va jusqu’à nous offrir le contenu d’un cahier qu’il exhume – “Je viens de recopier des notes que j’avais prises dans un carnet quand je pensais encore que j’allais écrire Une seule fleur, et qu’Une seule fleur serait mon prochain livre, alors que ce serait Le Système Victoria” –, nous parle de la terrasse du Nemours – “Je pourrais même vous montrer la table où je m’étais installé pour y passer l’après-midi et réfléchir à mon roman” –, café parisien où il écrit un dialogue censé se dérouler à Milan, jamais publié au final.
En accumulant les mises en abyme et les jeux de miroir, Reinhardt multiplie aussi les leurres, car rien ne dit que l’histoire de Nicolas le compositeur ne soit pas plus proche de la réalité que celle où il se met en scène lui-même.
Ce livre est aussi peut-être un éclaircissement en forme de démonstration. On s’en souvient, la sortie du précédent roman d’Eric Reinhardt, L’Amour et les Forêts, s’était accompagnée d’un prolongement digne d’un fait divers : une lectrice, avec qui il avait longtemps correspondu, disait s’être reconnue dans l’héroïne du livre. Blessée, elle accusait l’auteur d’atteinte à la vie privée.
Aujourd’hui, en expliquant comment se construit un roman, en montrant comment une infinité d’éléments hétéroclites concourent à l’élaboration d’un personnage, Reinhardt apporte sa réponse, hautement littéraire.
La Chambre des époux d’Eric Reinhardt (Gallimard), 176 pages, 16,50 €
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