L’autrice des “Pleureuses” revient avec “Intimités”, un roman porté par la voix d’une narratrice solitaire et déplacée.
Après Les Pleureuses (Stock, 2017), qu’elle vient d’adapter au cinéma (A Separation, pas encore en salle), Katie Kitamura affine sa dentelle littéraire en nous invitant dans les pensées d’une jeune femme sans prénom et presque sans passé. Tout juste apprend-on qu’elle vient de quitter New York, dont elle n’est pas originaire et où elle n’a pas grandi, que son père y est mort peu avant, que sa mère est partie s’installer à Singapour.
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Elle-même vit désormais à La Haye, où elle a décroché un CDD d’un an en tant qu’interprète auprès de la Cour internationale de justice. Un métier qui fait sens dans un roman qui tourne autour de questions de traduction et de communication verbale ou non verbale.
Écrivaine américaine d’origine japonaise, Kitamura a grandi en Californie, a vécu à Londres et s’est installée à New York avec son mari Hari Kunzru, auteur britannique d’origine indienne. Intimités est son quatrième roman, le deuxième à être traduit en français. Comme dans le précédent, on retrouve ici une héroïne ultra-contemporaine en perpétuelle expatriation, autour de laquelle Kitamura installe une non-narration.
L’art de ne pas raconter une histoire mais d’en présenter des facettes
À nous de créer des liens
Ne cachant pas l’influence de Duras sur son écriture, la romancière excelle dans l’art de ne pas raconter une histoire mais d’en présenter des facettes, nous laissant le soin de créer des liens entre différents événements : le petit ami de la narratrice part à Lisbonne pour un rendez-vous avec son ex-femme, un libraire se fait agresser dans une rue et raconte avoir inexplicablement tout oublié de sa mésaventure, et la narratrice doit servir d’interprète à un ex-dictateur auditionné par la Cour.
Une angoisse diffuse s’installe dès les premières phrases d’Intimités, car cette femme a peur, sans que l’on sache de quoi puisqu’elle ne dit rien de son passé. Une peur sans mots qui se traduit chez elle par l’observation précise des différentes personnes qu’elle croise. Fraîchement débarquée en terre inconnue, elle ressemble à une proie qui tente de se protéger de prédateurs et prédatrices qu’elle détecte à leur apparence.
Un beau travail littéraire
Tout est question de jeux de domination, que la narratrice analyse sans fin dans la posture d’un homme puissant qui l’aborde au cours d’un cocktail, dans l’attitude de l’ex-femme de son petit ami, bourgeoise écrasante de certitudes quand elle-même doute de tout. Elle s’attache à ne pas être complice, ne pas consentir, se tient à distance en notant précisément la façon dont les autres occupent l’espace, comme si elle cherchait constamment le meilleur moyen pour s’échapper si besoin. Imaginer que le dictateur lui rappelle un père dont le décès lui a permis de fuir New York est une interprétation possible, parmi mille autres qui s’offrent à nous.
Un paysage de dunes au bord d’une mer du Nord qui la ramène inexplicablement à elle‑même
Et pour prendre la mesure de l’inhabituelle beauté d’un tel travail littéraire, il faut s’arrêter sur cette magnifique scène hors du temps vers la fin du roman. La narratrice, dans un paysage de dunes au bord d’une mer du Nord qui la ramène inexplicablement à elle‑même, appelle au téléphone sa mère partie à Singapour. Une conversation, quelques mots, et tout l’art de Kitamura se déploie.
Intimités de Katie Kitamura (Stock/“La Cosmopolite”), traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy, 250 p., 20,50 €. En librairie le 1er février.
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