Dans une communauté ultrareligieuse, des femmes se réunissent pour venger leurs sœurs violées. Un grand roman féministe.
Au départ, c’est un étrange fait divers. Entre 2005 et 2009 en Colombie, dans une colonie de mennonites, des femmes ont été régulièrement droguées et violées. En partie parce qu’elle a grandi au sein d’une communauté du même type, des anabaptistes ultrareligieux qui vivent dans un temps arrêté tels des Amish, la romancière canadienne Miriam Toews s’est dit qu’elle devait en faire un livre. Mais, plutôt que de décrire les viols, elle a préféré imaginer ce qu’il se passe après leur révélation au grand jour.
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L’auteure de Pauvres Petits Chagrins (Bourgois, 2015) nous plonge dans un huis clos. Nous sommes dans une grange où, profitant de l’absence momentanée des hommes, partis à la ville voisine, huit femmes se rassemblent.
Des femmes à un moment capital de leur existence
Elles ont quarante-huit heures pour décider de ce qu’elles doivent faire : rester dans la communauté, pardonner et continuer à vivre comme si de rien n’était, ou tuer les coupables. Ou encore prendre leurs enfants et partir. Ne sachant pas écrire, elles chargent l’instituteur d’établir le procès-verbal de leur réunion. Il est le narrateur du livre, témoin ému des souffrances de ces femmes, de leur prise de conscience et de la libération de leur parole.
A travers la conversation de ses personnages, elle nous donne à lire le long processus d’élaboration de leur pensée
Trois générations se trouvent là, grands-mères, mères, adolescentes. Toews parvient parfaitement à donner une personnalité particulière à chacune d’elles. A notre époque, elles vivent comme au XIXe siècle, ne sont jamais sorties de leur village et parlent un obscur dialecte germanophone, seule langue qu’elles connaissent.
La phrase de Toews, classique et retenue, nous plonge naturellement dans cette ambiance hors du temps. A travers la conversation de ses personnages, elle nous donne à lire le long processus d’élaboration de leur pensée. Au fil des dialogues apparaissent des questions pratiques, lorsque l’une d’elles se demande si elles peuvent partir avec du bétail, car pourquoi les troupeaux appartiendraient-ils aux hommes ?
Le poids écrasant de la religion
Se construisent aussi des raisonnements d’ordre philosophique, chez des femmes à qui on a enseigné que sortir de la communauté signifie renoncer à sa place dans le ciel.
“Si nous nous soumettons à nos maris, c’est uniquement parce qu’ils nous ont dit que la Bible l’exigeait”, remarque l’une d’elles. Avant d’ajouter : “Le problème, c’est que ce sont les hommes qui interprètent la Bible et qui nous transmettent leur interprétation.”
Leurs échanges, naïfs ou affutés, constituent le cœur de ce livre étonnant. Ces femmes vont tenter de taire leurs dissensions et trouver une solution ensemble. Elles se demandent pourquoi elles se sont laissé jusqu’à aujourd’hui gouverner par les hommes et cherchent le moyen de faire cesser les violences, car les mères sont décidées à protéger leurs filles et à élever leurs garçons pour qu’ils ne se comportent pas comme leurs aînés.
Ecrit avant le mouvement MeToo, ce texte soulève nombre de questions qui ont surgi dans le sillage de l’affaire Weinstein.
Ce qu’elles disent (Buchet Chastel), traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, 240 p., 19 €
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