Paul Auster dédie un essai biographique étonnant au plus grand auteur méconnu de la littérature américaine, Stephen Crane.
[Mise à jour du 1er mai : Paul Auster est mort mardi 30 avril dernier à Brooklyn des suites d’un cancer]
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“Qui se souvient aujourd’hui de Stephen Crane ?”, se demande Paul Auster au début de Burning Boy, la somme de plus de mille pages qu’il consacre à l’écrivain américain mort de la tuberculose en 1900 à 28 ans. “Il fut un temps où presque tous les lycéens aux États-Unis devaient lire L’Insigne rouge du courage, rappelle l’auteur. J’avais quinze ans quand j’ai découvert ce roman en 1962, et ce fut une révélation explosive, qui changea ma vie, comme ce fut le cas de la plupart de mes camarades (filles et garçons)”. Ce n’est ni en spécialiste ni en érudit qu’il aborde son sujet, “mais en tant que vieil écrivain empli d’admiration pour le génie d’un jeune écrivain”.
Fasciné par cet homme plein de contradictions, auteur de romans et de nouvelles, Auster retrace le fil enchevêtré d’une existence trop courte, marquée par des prises de risque impulsives, un manque d’argent ravageur et une dévotion acharnée à sa vocation d’écrivain.
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Premier moderniste américain
Il dépeint, avec le sens de l’absurde qui le caractérise, les péripéties rocambolesques de son personnage : une enfance torturée, des talents précoces, puis une naissance fracassante en tant qu’écrivain, à 20 ans, par le biais d’un article provocateur qui perturba le cours de la campagne présidentielle de 1892. Suivent le conflit avec le département de police de New York qui lui valut d’être exclu de la ville, son naufrage au large de la Floride au cours duquel il manqua de se noyer, son mariage avec la propriétaire du plus élégant bordel de Jacksonville, son rôle de correspondant de guerre durant le conflit hispano-américain à Cuba, jusqu’à ses dernières années en Angleterre, aux côtés de son ami fidèle Henry James.
Mais c’est surtout son œuvre qu’il restitue ici dans sa puissance et son originalité. “Ses contemporains furent Henri Matisse, Vladimir Lénine, Marcel Proust, W. E. B, Du Bois, Theodore Dreiser, Willa Cather, Gertrude Stein, Sherwood Anderson, Robert Frost, écrit-il. Mais l’œuvre de Crane, s’écartant de presque toutes les traditions précédentes, fut si radicale pour son époque qu’il peut à présent être considéré comme le premier moderniste américain, celui, de tous les artistes, qui porte la plus grande responsabilité dans le bouleversement de notre façon de voir le monde au prisme du texte.”
Auster décortique les subtilités de son style, et révèle ses traits de génie. Un exercice d’explication de texte de haut vol, qui pourrait servir de leçon jubilatoire à tout écrivain en herbe.
Burning Boy, Vie et œuvre de Stephen Crane, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut, Actes Sud, 1008 pages, 28 euros.
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