Ebooks, tablettes, vente en ligne, livres enrichis : le numérique modifie en profondeur le monde de l’édition, de la création à la diffusion. À l’occasion du Salon du livre, état des lieux d’une révolution en cours en compagnie d’Aurélien Bellanger.
Quel est votre rapport au livre numérique ?
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J’ai acheté un iPad en novembre et j’ai dû lire une dizaine de livres dessus. C’est plutôt agréable d’avoir accès à un livre partout en moins d’une minute. Mais je trouve l’offre globalement insuffisante. Je ne vois pas comment le livre numérique ne triompherait pas.
Le basculement du CD au MP3 s’est fait alors que tous les spécialistes de musique disent que le son est plus mauvais. Avec le livre, en revanche, il n’y a aucune déperdition d’information. Je trouve tout ce discours autour de l’expérience du papier un peu délirant : le toucher, l’odeur… Les gens ne passent pas leur temps à sniffer les pages d’un livre. Le basculement vers le numérique me semble irréversible. Il s’inscrit dans le mouvement qui s’est amorcé dans les années 70, quand la bourgeoisie a cessé d’acheter du livre au mètre pour décorer ses bibliothèques de volumes reliés en cuir. C’était un premier pas vers la dématérialisation. Posséder une bibliothèque relève plus du snobisme que d’une réalité. J’ai dû lire 10% des livres de ma bibliothèque. La question est de savoir comment rendre ce snobisme visible avec le numérique.
Est-ce que vous êtes tenté par le livre enrichi ?
Je me posais la question en écrivant La Théorie de l’information parce qu’alors j’étais persuadé que le livre papier allait disparaître en 2008. Je voulais finir mon livre avant ce moment fatidique car voir mon premier roman imprimé représentait pour moi un accomplissement ; c’est ce qui objectivait le fait que j’étais devenu écrivain. Pour moi, le livre augmenté, c’est un peu comme l’art moderne qui s’abstrait du tableau : ça affaiblit l’autorité de l’artiste qui a besoin d’autres instances (commissaire d’exposition, critiques…) pour valider son œuvre. Quand on veut inciter des gens à lire 500 pages, il faut quand même pouvoir faire preuve d’une forme d’autorité. Si le lecteur se retrouve en position de choix, il perd en expérience. On ne peut pas faire mieux que la linéarité de la lecture en tant que partage de connaissance. En tant qu’écrivain, si je me dis que les gens préfèrent consulter leur compte Facebook plutôt que mon livre, autant changer de métier. On est en guerre sur le marché de l’attention, mais on ne peut pas s’en protéger en restant dans un château fort. Il faut accepter de prendre le risque d’aller sur tablettes.
Comment abordez-vous la question de l’exploitation de vos droits numériques ?
J’ai découvert que j’étais piratable. Globalement, je pense que tous ces changements liés au numérique ont renforcé l’auteur par rapport à l’éditeur. L’écrivain choisit en connaissance de cause d’abandonner ses droits pour 70 ans. Les écrivains peuvent se passer d’éditeur, mais des éditeurs sans écrivains, c’est impossible. Aujourd’hui, les auteurs comprennent que c’est eux qui détiennent la réelle puissance, qu’ils sont un maillon indispensable.
Avant d’écrire, vous étiez libraire. Comment voyez-vous l’avenir de la librairie ?
Quand j’ai arrêté de travailler en librairie il y a trois ans, on commençait à en parler. Les libraires ont du mal à se fédérer pour créer une offre concurrente à Amazon. J’ai l’impression que l’on se trouve à un stade où personne n’ose agir le premier. Les éditeurs n’osent pas vraiment se lancer dans le numérique pour ne pas effrayer les libraires qui sont d’importants relais pour eux. La vraie question posée par le numérique, c’est celle du transfert de la propriété vers l’usage. Avec le numérique, on n’est plus propriétaire des livres que l’on télécharge. Si je change de matériel, je perds mes livres. Les livres ne sont plus un objet de fétichisation de sa culture personnelle.
Le numérique peut-il avoir une incidence sur la création ?
Je suis sûr que le roman est un outil formidable et qu’on n’a pas trouvé mieux. Le modèle économique est peut-être attaqué, mais pas ce en quoi je crois profondément qui est la valeur du roman. Par exemple, l’expérience du jeu vidéo est bien plus déceptive que celle du roman. Avec le jeu vidéo, le circuit plaisir/récompense est bien plus réduit sur l’échelle du temps alors que la récompense du livre est un enrichissement sur le long terme. Ce qui m’inquiète en revanche avec le numérique, c’est la disparition du nombre de pages, progressivement remplacé par le temps de lecture estimé. Ca risque d’être décourageant.
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