Les hobos symbolisèrent longtemps l’anticonformisme absolu en Amérique. Ted Conover leur rend hommage dans un reportage on the road (ou plutôt on the rail).
Une fois de plus, les Editions du Sous-sol révèlent en France une petite merveille venue des Etats-Unis. Outre-Atlantique, est considéré comme le digne héritier du nouveau journalisme. Connu pour ses reportages embedded, que ce soit dans la peau d’un gardien de prison (Newjack, finaliste du prix Pulitzer 2001) ou parmi les travailleurs clandestins mexicains (Les Coyotes, 1987), l’auteur fit ses débuts dans les années 1980 avec Au fil du rail.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Partir à la recherche du rêve américain en allant explorer ses marges, tel est le point de départ de ce reportage hors normes. A 20 ans et des poussières, le jeune Conover part sur la trace des hobos, ces clandestins des rails qui parcourent le pays d’ouest en est et du nord au sud. Ces vagabonds le fascinent depuis l’enfance.
Désormais étudiant en anthropologie, il décide d’en faire son sujet de thèse. Pour qui veut comprendre l’homme, ses rites et ses mœurs, quoi de plus intéressant que ces “clochards célestes”, célébrés avant lui par London, Kerouac, Whitman, Dos Passos ou encore Steinbeck. C’est aussi une occasion d’échapper à sa classe sociale, cette bourgeoisie de la Nouvelle-Angleterre qui estime, comme ses professeurs, que de tels individus sont méprisables, voire dangereux.
Marginaux mais pas laissés-pour-compte
A défaut d’être validées par son université, ses recherches deviendront ce livre, une odyssée grandiose autant qu’une ode à la gloire de ces types incroyables rencontrés en chemin, “L’Arbre” (surnommé ainsi pour sa taille) ou Maury “la Vapeur” Graham. Des marginaux, mais en aucun cas des laissés-pour-compte et encore moins des victimes.
Leur vie au fil du rail, la plupart d’entre eux l’ont choisie, parce qu’ils haïssent la servitude volontaire des employés de bureau. D’autres n’ont pas eu le choix (ils fuient quelque chose ou quelqu’un, tragédie familiale ou personnelle).
Au delà du périple, de ces paysages qui défilent depuis un wagon de la Cotton Belt, c’est à la naissance d’un véritable projet littéraire qu’on assiste, une œuvre originale dont le protocole épouse subtilement le sujet.
Tout comme le baroudeur échange ses vêtements contre des fripes, son accent de la haute contre l’argot de ses compagnons, ses mœurs contre leurs us et coutumes, l’auteur, devenant écrivain, se détache de ce qu’on lui a appris jusqu’ici, sa vision du monde, les mots qu’il emploie, “l’idée même d’un chez soi”.
Liberté farouche
Naît alors cette phrase magnifique, lâchée à toute blinde tel un train à grande vitesse, capable de dérailler, de faire fausse route comme de s’arrêter pour mieux contempler les grands espaces. Une phrase qui éblouit aussi par son lexique à la fois pragmatique et poétique, qui est celui des vagabonds : “brûler le dur”, “échapper à la vigilance des bouledogues” (les flics), etc.
Espèce aujourd’hui en voie de disparition, le hobo redevient sous la plume de Conover cette figure héroïque de la littérature américaine, l’incarnation parfaite de la liberté farouche et de l’anticonformisme absolu.
Au fil du rail (Editions du Sous-sol), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons, 336 pages, 22 €, en librairie le 28 avril
{"type":"Banniere-Basse"}