Si en France on connaît surtout Agatha Christie, quatre autres autrices ont régné sur l’âge d’or du “crime novel” britannique. On les (re)découvre cet été.
Le succès international et ininterrompu de l’œuvre d’Agatha Christie n’a d’égal que celui de Shakespeare et de la Bible. L’univers de la romancière présente une certaine image de l’Angleterre, à la fois cosy et inquiétante, et on revient volontiers à ses intrigues diaboliques, à ses personnages ambigus et aux enquêtes de Miss Marple et Hercule Poirot, tous deux capables de lire dans l’âme humaine à travers tous ses masques.
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Mais Christie ne devrait pas éclipser toute une constellation d’autres autrices britanniques non moins remarquables. Elle est certes l’une des “reines du policier” de l’âge d’or, mais quatre autres femmes, moins connues en France, portent également la couronne. De quoi se ressourcer chez d’autres créatrices de policiers british – ces contes de fée pour adultes – avant de relire une énième fois Le Meurtre de Roger Ackroyd.
Dorothy L. Sayers
Amie de Christie, Dorothy L. Sayers est fille de pasteur. Très lettrée, spécialiste de littérature médiévale, elle est en 1915 l’une des premières femmes à être diplômée d’Oxford. Après plusieurs années passées à travailler dans une agence de publicité, une expérience formatrice, elle invente un détective amateur, l’aristocrate dilettante Lord Peter Wimsey, amalgame selon Sayers de Fred Astaire et du Bertie Wooster de P. G. Wodehouse. De prime abord un simple dandy léger comme une bulle, Wimsey accède pour de bon dans Poison violent (Strong Poison, 1930) à une existence authentique face à une question de vie ou de mort : il tombe amoureux de la célèbre romancière Harriet Vane, accusée d’avoir empoisonné son amant, et décide de la sauver de la pendaison.
Leur romance, qui n’a rien de simple, atteint son apogée dans le merveilleux policier sans meurtre Le Cœur et la Raison (Gaudy Night, 1935), qui se déroule dans un collège de jeunes filles à Oxford à l’occasion d’une réunion d’anciennes élèves. Ne pas manquer non plus Lord Peter et le Mort du 18 juin (Have His Carcase, 1932), avec l’inoubliable découverte par Harriet d’un cadavre à la gorge tranchée sur une plage déserte. Acuité psychologique et humour toujours renforcés par un arrière-plan social très fourni : du grand art.
Margery Allingham
Margery Allingham, originaire du faubourg londonien d’Ealing, devient écrivain après des études de théâtre. Son univers pétri d’étrangeté et de menace sous-jacente, peuplé de personnages excentriques, et où l’on visite aussi bien les bas-fonds que les salons dorés de l’élite, n’est pas sans rappeler celui de Dickens. On note les noms baroques de ses personnages – Mrs Talisman, Prunella Scroop-Dory, Sir Doberman – et le duo comique formé par le détective aristocratique Albert Campion, dont l’air absent et modeste cache un intellect acéré, et son serviteur cockney Magersfontein Lugg, un ancien rat d’hôtel rentré dans le droit chemin et devenu quelque peu empâté.
Comme Sayers, Allingham sait épingler divers milieux sociaux : le très divertissant La mode est au linceul (The Fashion in Shrouds, 1938) est aussi une comédie de mœurs située dans le milieu impitoyable de la haute couture londonienne et imprégnée de la gaîté sinistre propre à son auteur. Particulièrement remarquable, le très hitchcockien Les Deniers du traître (Traitor’s Purse,1940), écrit et publié sous les bombardements du Blitz, met en scène Campion, qui se réveille amnésique dans un hôpital et ne se souvient que du fait que quelque chose de monstrueux se prépare, qu’il faut absolument empêcher. Allingham, perfectionniste, considérait un policier réussi comme une œuvre d’art aussi accomplie et délicate qu’un sonnet.
Ngaio Marsh
Néo-zélandaise et britannique, Ngaio Marsh grandit avec des parents comédiens et ses romans se déroulent fréquemment dans le milieu du théâtre, dont elle a une connaissance approfondie. Le réalisme de Marsh, riche de détails et de personnages hauts en couleur, se caractérise par son élégance ironique. Le personnage de Roderick Alleyn, gentleman-détective qui cite volontiers Shakespeare, courtise l’artiste-peintre Agatha Troy, qui apparaît d’abord dans Un vrai crime d’artiste (Artists in Crime, 1938), vêtue d’un pantalon de flanelle crasseux, le visage maculé de peinture verte, alors qu’elle s’efforce de peindre une vue des docks.
Dans ce personnage, on peut voir un autoportrait de Marsh, grande et mince, d’allure masculine, qui aimait peindre elle aussi. Chez Marsh, les méthodes de meurtre sont très inventives : un marécage en ébullition, un parapluie qui dissimule une aiguille, et, dans Un piège pour Miss C. (Overture to Death, 1939), dont l’action se déroule dans une petite paroisse de village, un piano trafiqué qui tire un coup de feu mortel.
Josephine Tey
Pour finir en beauté, l’Écossaise Josephine Tey (pseudonyme d’Elizabeth MacKintosh), professeure de gymnastique passée à l’écriture. Par son intérêt peu conventionnel à l’époque pour les questions d’identité et de genre, ainsi que pour les motivations psychologiques hors normes, elle forme une passerelle entre la fiction policière de l’entre-deux-guerres et le polar plus contemporain tel qu’il s’exprimera par exemple chez Patricia Highsmith. Le héros de Tey, l’inspecteur Alan Grant de Scotland Yard, est fort sensible à l’attrait de femmes androgynes qui ressemblent à des adolescents. Le thème du masque est omniprésent chez Tey, et conduit dans Le Plus Beau des anges (To Love and Be Wise, 1950) à la révélation ahurissante de ce qui, depuis le début, se cachait au grand jour.
Dans le très original policier historique La Fille du temps (The Daughter of Time, 1951), Grant, hospitalisé pour dépression, se distrait en reconstituant le rôle joué par Richard III d’Angleterre, archétype du tyran machiavélique, dans le meurtre de ses jeunes neveux. Après avoir envoyé ses amis et collègues à la recherche de sources et de documents d’époque, il tire ses propres conclusions à l’encontre de l’historiographie officielle.
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