Avec “Tomino la maudite“ et “Search and Destroy”, Suehiro Maruo et son disciple assumé Atsushi Kaneko offrent deux mangas intenses, violents et poétiques.
Abandonnés par leur mère, des jumeaux sont martyrisés par leur oncle et leurs cousins avant d’être vendus à un cirque. Parmi les phénomènes de foire, telle Elise, la fille-pieuvre, Miso et Shôyu, plus tard rebaptisés Tomino et Katan, connaissent enfin un semblant de paix. Mais cette famille d’adoption est dirigée par Wang qui, en parallèle, monte une inquiétante secte.
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En d’autres mains, Tomino la maudite pourrait n’être qu’une variation de plus autour du film Freaks de Tod Browning (1932). Sauf que cette série mémorable est signée par le maître sexagénaire du manga morbide Suehiro Maruo.
Appartenant au courant japonais du ero guro (pour “érotique grotesque”), cet auteur travaille encore à l’ancienne, sans assistant et seul devant sa table à dessin. Dans les pages hypnotiques de ce chef-d’œuvre où il revisite certaines de ses obsessions, se télescopent le surréalisme de Bataille et l’expressionnisme allemand, Charlie Chaplin et L’Ile des morts, la série de tableaux d’Arnold Böcklin.
Des images à rêver ou à cauchemarder
Rien qu’avec des poupées au visage brisé ou des statues démembrées, Maruo peut ainsi installer le malaise. Tout en suivant le destin chaotique et dramatique de Tomino, Katan et les autres, il produit des images à rêver ou, le plus souvent, à cauchemarder. Si elles flirtent avec la crudité ou le grand-guignolesque, elles possèdent en elles une poésie et une liberté sauvages.
La carrière de Maruo, affranchie des formats, a fait école au Japon, comme l’explique dans un entretien croisé reproduit à la fin de Tomino la maudite son benjamin Atsushi Kaneko. Celui-ci trace depuis les années 2000 son sillon étrange, comme l’ont montré les mangas Soil et Wet Moon ou l’anthologie Atomic (S)trip.
Créatures monstrueuses et atmosphères putrides
Empruntant son titre à une chanson d’Iggy & the Stooges, Search and Destroy réaffirme la place à part de Kaneko, à la fois héritier du travail de certains de ses aînés (Maruo en tête, donc) et dynamiteur punk louchant sur les atmosphères angoissantes à la Charles Burns ou David Lynch.
Pourtant, cette nouvelle série est un remake de Dororo, une des œuvres jalons d’Osamu Tezuka, mangaka star, créateur d’Astro le petit robot et de plein d’autres merveilles.
Réédité en parallèle, Dororo revisitait dans les années 1960 les récits de samouraïs avec beaucoup de fantaisie autour d’un duo de héros improbable. Le personnage éponyme, un petit voleur habile, s’y allie avec Hyakkimaru. Ce jeune homme, dépossédé de quarante-huit parties de son corps par des démons, tente de se reconstruire, récupérant membres et organes à coups de sabre.
Une réussite, une réinvention
Si Kaneko a gardé la trame originale de Tezuka, il transforme Hyakkimaru en une femme, la vengeresse Hyaku au profil très stylisé. Il projette l’intrigue dans un monde postapocalyptique inquiétant où humains, robots et cyborgs coexistent violemment.
Comme Maruo, Kaneko a le goût des créatures monstrueuses et des atmosphères putrides. Sa mise en scène virtuose donne un rythme trépidant aux séquences d’action, assez gore, mais sait aussi provoquer des émotions, grâce à des gros plans sur le regard de personnages souvent affolés et perdus. Une réussite, une réinvention.
Tomino la maudite T.1 de Suehiro Maruo (Casterman), traduit du japonais par Miyako Slocombe, 336 p., 22€
Search and Destroy T.1 d’Atsushi Kaneko (Delcourt), traduit du japonais par Sébastien Ludmann, 240 p., 9,35€
Dororo Intégrale T.1 d’Osamu Tezuka (Delcourt), traduit du japonais par Jacques Lalloz, 416 p., 24,95€
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