Le scénariste de comics Warren Ellis publie son premier roman : la critique férocement drôle d’une Amérique pudibonde et hypocrite, dans un road trip hallucinogène.
Attention, les premières pages de ce livre sont susceptibles de déclencher des nausées. L’image qui ouvre le roman – un rat, « le corps comme un étron sur pattes », qui pisse dans un mug – n’est en effet pas des plus délicates, mais elle a le mérite de donner immédiatement le ton d’Artères souterraines : entre trash et potache.
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L’histoire d’un « superloser »
Venu du monde de la BD, scénariste de comics dont la plume déjantée a contribué au renouveau du label Marvel, l’Anglais Warren Ellis signe un premier roman auquel il manque clairement une case, totalement délirant et souvent hilarant.
Ici, pas de superhéros, mais un superloser. Mike McGill, la trentaine, est un détective privé avec une déveine monstre à la place du holster, une sorte de Jonathan Ames, le héros de la série Bored to Death, en encore plus paumé.
Sa copine l’a plaqué pour une femme « avec des implants capillaires sur les seins », il vit dans son bureau cradingue de Manhattan et compte à peu près autant de clients qu’une prostituée du troisième âge.
Jusqu’au jour où surgit dans son taudis le chef de cabinet du président des Etats-Unis, un vieillard cynique et héroïnomane, qui lui confie une mission de la plus haute importance : retrouver la Constitution secrète des Etats-Unis rédigée par les Pères Fondateurs.
Grâce à son pouvoir hypnotique, le livre pourrait sauver l’Amérique, remettre le pays dans le droit chemin. Mike n’épouse pas forcément la cause, mais ne crache pas sur le demi-million de dollars qui peut lui revenir en cas de succès. Pendant ce temps, le livre circule de main en main et sert de monnaie d’échange aux pires détraqués.
Une guerre entre deux Amérique
Bourré de références pop, de Justin Timberlake à Godzilla en passant par A la Maison Blanche, Artères souterraines entraîne le lecteur dans un road-trip hallucinogène à l’esthétique de série Z, une traversée de l’Amérique underground et déviante, celle des amateurs d’injections salines dans les testicules ou de séances de masturbation collective devant des images de lézards.
Au-delà de la rocambolesque recherche du livre secret se joue une guerre entre deux Amérique : celle d’une pudibonderie hypocrite d’un côté (et on ne peut s’empêcher de penser aux fanatiques du Tea Party) ; de l’autre, celle qui défend la liberté à tout prix.
Warren Ellis a clairement choisi son camp, quitte à verser parfois dans le manichéisme. Ce qui est toujours moins grave quand l’auteur ne se prend pas au sérieux. Avec Artères souterraines, Ellis compose une contre-histoire des Etats-Unis, tournant en dérision l’obsession de la théorie du complot ancrée dans l’imaginaire US.
Dommage que ce plaidoyer pour la contre-culture ne soit pas plus subversif. En s’éloignant totalement du vraisemblable, la critique sous-jacente se fait moins corrosive. Reste que ce petit livre speedé et barré est suprêmement drôle, ce dont on ne peut tout de même pas se plaindre.
Elizabeth Philippe
[attachment id=298] Artères souterraines (Au Diable Vauvert), traduit de l’anglais par Laura Derajinski, 336 pages, 18€.
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