Arnaud Cathrine et Justine Lévy se sont emparés, chacun dans leur style, du fonds de diapositives anonymes collectées par The Anonymous Project depuis 2017. Une étonnante démarche qui questionne la relation entre mémoire collective et individuelle.
Page après page, les clichés se succèdent, à la fois banals et singuliers. Des photos à la limite du kitsch, voire franchement désuètes, qui montrent des moments que chacun croit intimes mais ne sont au final que des “situations” vécues par tous, avec leurs propres codes, rites.
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D’une richesse sociologique évidente
Des instants de vie familiale attrapés par des inconnus : anniversaires, vacances, enfants, jeunes couples, vieux parents. Tous sont issus du fonds The Anonymous Project, idée du réalisateur Lee Shulman qui, depuis 2017, collecte des diapositives.
Elles sont d’une richesse sociologique évidente, témoignant de la vie dans la classe moyenne depuis la fin des années 1930 jusque dans les années 1980, lorsque l’on arrête d’utiliser ce support. Alix Penent, directrice éditoriale chez Flammarion, a eu l’idée de confronter ce fonds à l’inventivité de deux écrivains, Arnaud Cathrine et Justine Lévy.
Pour Justine Lévy, fragmentation et collage
L’autrice a choisi la fragmentation et le collage pour créer un objet ludique. Jouant sur la typographie et la place des photos dans la page, elle crée des fragments de vie, imaginant les pensées des différents protagonistes présents sur les images.
Ainsi, le texte illustre la photo, et non le contraire. Ruptures, disputes, moments volés, de grands drames se jouent ici ; la romancière saisit ce que la photo cache, et souvent adopte un regard légèrement décalé, plein d’humour.
Pour Arnaud Cathrine, un court roman intense
Arnaud Cathrine a, quant à lui, écrit un court roman intense qui semble se construire peu à peu, de cliché en cliché. L’auteur de Pas exactement l’amour nous raconte l’histoire de deux frères, Ryan et Andrew, nés dans la Californie des années 1940.
Ils ont une enfance typique de la middle class blanche, heureuse mais marquée par des secrets de famille et des non-dits. Puis vient l’adolescence et la découverte de la sexualité.
Il est intéressant de retrouver là les thématiques récurrentes et la mélancolie propres à Cathrine, mais dans une forme nouvelle, une expérience littéraire inédite qui semble l’avoir poussé dans ses retranchements. Le résultat est un texte extrêmement émouvant, où l’on a la sensation de feuilleter l’album d’une vie en compagnie de personnages à qui l’auteur a su donner une véritable épaisseur.
Chacun dans leur style, les deux ouvrages questionnent les notions d’histoire privée et collective. Ainsi ces instantanés anonymes disent à la fois une époque, des failles intimes et des drames universels, et les deux romanciers qui ont su les intégrer à leurs univers respectifs leur offrent un destin littéraire.
Andrew est plus beau que toi d’Arnaud Cathrine, avec le concours de The Anonymous Project (Flammarion), 180 p., 21 €
Histoire de familles de Justine Lévy, avec le concours de The Anonymous Project (Flammarion), 192 p., 21 €
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