L’auteur de “Leurs enfants après eux” met en scène, dans “Connemara”, un homme et une femme pris·es entre nostalgie de la jeunesse et amertume du présent. Le portrait aigu d’une France qui déchante.
Le roman précédent de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, prix Goncourt en 2018, racontait quatre étés vécus par une bande d’ados du Grand Est. Aujourd’hui, dans cette même région française qu’il connaît bien, l’auteur concentre son propos sur une saison dans la vie de deux quadragénaires en plein désarroi.
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Hélène, au brillant parcours scolaire, est revenue vivre dans le coin avec Philippe, rencontré au cours de leurs études et désormais cadre sup, et leurs deux filles. Elle vit dans une villa design et a décroché un bon job, mais tout est compliqué, à la maison comme au travail.
Et il y a Christophe, dont elle était amoureuse au lycée. Il n’a jamais quitté la région, il a toujours les mêmes copains, s’occupe de son vieux père chez qui il vit et s’est fait plaquer par sa femme.
Plus sociologique qu’intime
Comment mesurer la réussite ou le ratage d’une existence ? Nicolas Mathieu ne donne pas de réponse, mais confronte les failles et les désillusions. Son propos est plus sociologique qu’intime, politique même, car le roman se situe en 2017, quand l’élection de Macron se profile. L’auteur décrit un cabinet de conseil chargé de moderniser les collectivités territoriales, tenu par d’ancien·nes élèves d’écoles de commerce galvanisé·es par un mouvement politique qui use “de la même morale de team building” :
“Une fenêtre allait s’ouvrir pour le pays et toute une génération profiterait de l’occasion et du bon débarras général pour s’élever à des postes de décisions.” Alentour, la population est tentée par l’extrême droite, ou n’ira même pas voter.
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Nicolas Mathieu colle au plus près de ses personnages, repère dans le moindre de leurs gestes les réflexes de classe, les questions d’argent et la violence sociale. Comme dans son précédent roman, il évite les clichés et construit un propos complexe à travers la multitude de sentiments contradictoires qui assaillent Hélène et Christophe.
Surtout, ce romancier, lui-même quadra – il est né en 1978 –, possède un sens aigu des atmosphères, et sait ainsi orchestrer quelques scènes extrêmement justes, comme un Noël fêté par des salarié·es dans un open space.
L’écrivain anthropologue
Sa connaissance fine de la population qu’il décrit est particulièrement éclatante dans son analyse des Lacs du Connemara, le tube de Michel Sardou qui donne son titre au roman.
“Elle parlait d’autre chose, d’une épopée moyenne, la leur, et qui ne s’était pas produite dans la lande ou ce genre de conneries, mais là, dans les campagnes et les pavillons” – Extrait de Connemara
Elle est entonnée à la fin d’une fête de mariage, et Nicolas Mathieu décrypte l’engouement ému d’une certaine France pour une chanson qui crée une véritable mythologie autour d’un territoire sacralisé : “Ces paroles qui faisaient semblant de parler d’ailleurs, mais ici, chacun savait à quoi s’en tenir. Parce que la terre, les lacs, les rivières, ça n’était que des images, du folklore.
Cette chanson n’avait rien à voir avec l’Irlande. Elle parlait d’autre chose, d’une épopée moyenne, la leur, et qui ne s’était pas produite dans la lande ou ce genre de conneries, mais là, dans les campagnes et les pavillons, à petits pas, dans la peine des jours invariables, à l’usine puis au bureau, désormais dans les entrepôts et les chaînes logistiques.”
Connemara de Nicolas Mathieu (Actes Sud), 400 p., 22 €. En librairie le 2 février.
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