L’amour d’un été entre un ado et un jeune professeur dans l’Italie des années 1980 par l’écrivain américain André Aciman.
Appelle-moi par ton nom, c’est d’abord le roman de l’écrivain et universitaire américain André Aciman (né en 1951), publié en 2007, rédigé comme en couleur au fil de ses deux premiers chapitres. Les couleurs de l’été italien dans des conditions décrétées idéales : une maison antique au bord de la mer, une famille en villeggiatura à la fin des années 1980.
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Le père est professeur de lettres, la mère hésite entre la muse et la vestale, et Elio, leur fils de 17 ans, est un pianiste mélomane. Des intellectuels qui parlent Héraclite dans le texte et Bach à même la partition. Des lettrés hédonistes : délice de la citronnade maison, bonheur euphorisant du lambrusco.
Des nantis : piscine, courts de tennis, domestiques autochtones et pittoresques, et juste ce qu’il faut de voilage frissonnant aux fenêtres à l’heure de la sieste. A ces couleurs éblouissantes succède le noir et blanc non moins lumineux des chapitres suivants, entre déambulations noctambules dans les rues de Rome et retour à la case départ des souvenirs crève-cœur.
L’auteur cite Dante en VO ou Leopardi comme on respire
D’une palette à l’autre, c’est le récit d’Elio, le fils de (bonne) famille, qui fait le liant. Il se raconte, plus que troublé par la présence d’Oliver, un jeune professeur new-yorkais en résidence éphémère chez ses parents. Cet Oliver est suprêmement intelligent et foutrement beau.
Bref, ce qui devait arriver arrivera. Et là : stop ! Pitié ! On n’en peut plus !, se dit le lecteur, gavé par tant de clichés de l’élégance hors sol, aussi glacée que le papier des magazines de déco ou la couverture non moins congelée de n’importe quel manuel de psychologie élémentaire.
Sauf que pas du tout, on en redemande. Car l’auteur infiniment s’obstine, citant Dante en VO ou Leopardi comme on respire. Et l’on évoque Shelley, mort dans le secteur, et on visite un tertre où Monet posa son chevalet. Cette insistance érudite pourrait écœurer si à force elle ne finissait par alerter et, ma foi, à inquiéter. Trop de clichés pour exténuer le cliché, le tuer.
Une palanquée de films italiens littéraires
Cet assassinat par overdose est d’autant plus efficace qu’il flirte avec la propre psyché du lecteur, lui même drogué, italianisme oblige, par une palanquée de films littéraires : Le Jardin des Finzi-Contini de De Sica d’après Bassani (la famille d’Elio se définissant comme “discrètement juive”), Le Mépris de Godard d’après Moravia, La Notte d’Antonioni, La Dolce Vita de Fellini et surtout, comme un fondu qui nous enchaîne à cette autopsie d’une passion d’homme à homme, le Maurice de James Ivory d’après E. M. Forster.
Avec brio, André Aciman organise la circulation dans cet embouteillage de références et le déleste vers des chemins nettement plus chaotiques. Cela vient par petites touches acides qui rongent le trop joli tissu des apparences. Le père qui, citant Paul Celan, y va d’un marabout de ficelle extravagant : “Celan, céleri, salami, qu’importe !”
La cuisinière Mafalda qui par son franc-parler hilarant conteste le bien-disant cultivé de ses patrons. Le narrateur enfin, cet Elio extralucide qui a forte conscience que ses sentiments censément singuliers relèvent autant de la fadaise adolescente que de la “guimauve intergalactique”.
Je est un autre, c’est admis depuis Rimbaud
Et quand les jeunes amants se penchent sur leur rapport vivement sexuel, souvent indécent mais jamais grossier, ils en plaisantent parce que “c’est trop réel”. Autant de moments où l’eau de rose devient un poison violent, et la tourterelle blessée, un rapace inquiétant.
C’est la belle part d’ombre de ce roman faussement classique, qui, comme “le sommeil au sein du sommeil”, développe un réseau de sous-textes troublants où les aventures du corps (jusqu’à n’en plus pouvoir quand “ton corps devient mon corps”) le disputent à une élégie du monde dont la pérennité dessoûle des redondances de la conjugalité, aussi différente soit-elle.
Elio dit de lui, dévoré de soleil : “Païen, voilà ce que tu es.” Et finit par se demander, pourtant dévot de son amour pour son Oliver chéri : “Oliver qui ?” Autant dire, un “Lui, quoi ?”, qui tel un mode d’emploi tranche en partie le nœud du titre et dépoisse du fatigant “moi, je”. Je est un autre, c’est admis depuis Rimbaud.
Appelle-moi par ton nom retourne ce même gant. Le roman d’un apprentissage où l’on apprend plus à se défaire qu’à se charger. “A plus !”, est la défausse-mantra d’Oliver. “Si ce n’est plus tard quand ?”, est la contre-énigme que lui oppose Elio.
Appelle-moi par ton nom (Grasset), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Pierre Aoustin, 336 p., 20,90 €
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