Après une épopée punk et féministe contre le patriarcat, la sensation finlandaise Laura Gustafsson revient avec un deuxième roman sur les perversions humaines qui esquisse une anatomie du mal.
Sans une maîtrise aiguë du finnois, il est difficile de trouver des détails sur Laura Gustafsson, pin-up tatouée aux robes courtes, blonde platine aux yeux bleus qui tire parfois la langue sur les photos de Google Images. Après enquête, on apprend quand même que cette Betty Boop version Grand Nord est née en 1983 en Finlande. Diplômée de l’Académie de théâtre d’Helsinki, la trentenaire est l’auteur de plusieurs pièces, de fictions radiophoniques et de projets protéiformes mixant audace scénique et recherche plastique.
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Mais c’est surtout avec un premier roman méchamment déjanté que Laura Gustafsson s’est fait connaître et s’est imposée comme la nouvelle sensation des lettres nordiques. Publié en 2011, traduit en français deux ans plus tard, Conte de putes (Grasset), variation tarantinesque des mythes antiques, racontait l’épopée déglinguée d’une Aphrodite moderne et trash partie en guerre contre le patriarcat, l’inégalité des sexes et la bienséance à la papa.
Un deuxième opus plus âpre, plus sombre et plus funeste
Forte de cette aura de néopapesse punk et de VRP agitée d’un féminisme pulp et porn, rapprochée chez nous de la Despentes de Baise-moi, Gustafsson nous livre Anomalia, un deuxième opus plus âpre, plus sombre et plus funeste. Radicalement différent dans sa forme et dans son ton, le nouveau projet de la romancière continue pourtant de clouer au pilori une humanité que la cruauté, la bêtise et l’indifférence tendent à rapprocher de la plus vile condition animale.
Après son plasticage de la domination sexuelle, c’est par une écriture de la violence faite aux enfants, acte de barbarie ultime, que l’auteur entend esquisser ici son “anatomie du mal”. “Est-il possible d’isoler le gêne responsable du mal et de l’éliminer ?”, s’interroge-t-elle. Dans une Europe traumatisée par la photo du petit Alan Kurdi, cet enfant syrien retrouvé mort sur une plage turque devenu l’icône de l’injustice et de l’oppression des plus faibles, Anomalia, qui lie les destins de trois marmots innocents, sur les corps martyrisés desquels vont s’inscrire les “anomalies” de l’homme, résonne d’une manière troublante.
Folklore morbide, pétri de faits divers glauques et de ragots gore
Comme dans Conte de putes, c’est à la lumière des histoires du passé que Gustafsson éclaire les recoins sombres du présent. Si elle est allée puiser dans les légendes grecques pour nourrir son premier roman, c’est notre mythologie contemporaine qui l’inspire dans le second : ce folklore morbide, pétri de faits divers glauques et de ragots gore, qui s’expose en couverture des gazettes à scandales.
Au rang des victimes : un bébé atteint de trisomie 21 est abandonné par sa mère aux bons soins d’une meute de chiens sauvages. Plus loin, Amala et Kamala, deux fillettes élevées par une louve, sont arrachées de leur tanière par un révérend indien pour être “civilisées” en orphelinat. L’histoire est vraie, connue depuis les années 1920 – elle a servi de matrice aux mythes des enfants sauvages. Problème : ce n’était qu’une arnaque grossière montée par un bourreau avide d’argent et de reconnaissance facile qui maltraitait les deux gamines.
“Brute néonazie cinglée, quotient intellectuel de 60”
Dernier stade de l’effroi, l’affaire “Baby P”, qui a défrayé la chronique londonienne en 2007 : Peter Connely, 17 mois, est retrouvé mort dans son berceau. Le corps présente plusieurs fractures et a reçu plus de cinquante blessures malgré soixante visites des services sociaux. Dans le box des accusés, un beau-père blond, “brute néonazie cinglée, quotient intellectuel de 60” et une mère dépassée, immature et démissionnaire, fan de Britney Spears. Si la justice condamne, la littérature achève : “La mère qui ne protège ni ne défend son propre enfant est un animal défectueux”, écrit Gustafsson.
Il n’y aura ni pitié ni miséricorde. La romancière n’est pas juge mais guerrière.L’écriture est un acte de résistance contre “le silence de l’empathie”. Et si parfois la fougue l’emporte sur le bon sens et vire à l’extrême – “la mort violente est toujours une tragédie pour celui qui la subit. Qu’il s’agisse d’un homme, d’un bœuf, d’une poule ou d’une termite” –, le combat reste juste, la portée universelle : “Souvenez-vous : le mieux serait que celui qui nuit aux plus petits se voie passer une meule de pierre autour du cou et jeter à la mer.”
Au langage ici de servir de dernier rempart à la barbarie : “Si le langage s’abîme et disparaît, ne restent que des corps. Nous nous retrouverons nus, sans histoire (…) Et aucun moyen de savoir jusqu’où cela peut aller. Peut-être jusqu’à engendrer des monstres, des aberrations.” Que le verbe nous en préserve ! Léonard Billot
Anomalia (Grasset), traduit du finnois par Claire Saint-Germain, 304 pages, 20 €
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