Qui était cette femme déguisée en félin sur la scène des cabarets US ? Eleni Sikelianos reconstitue le puzzle de l’existence de sa grand-mère. Un livre à son image : bizarre.
Notre propre famille est toujours une énigme. Chez la poétesse grecque Eleni Sikelianos, celle-ci s’intensifie par le fait qu’il s’agit d’émigrés. Comment ces Grecs ont-ils réussi à fuir les tueries des Turcs ? Comment vivaient-ils avant ? Difficile de reconstituer leurs trajectoires brisées, d’autant qu’ils ne sont plus là pour raconter.
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Reste l’écriture pour narrer ces vies fragmentées, bousculées par l’histoire. “Ce livre fait partie d’une histoire familiale plus vaste, un système circulatoire comportant des morphinomanes et des héroïnomanes, des réfugiés, des comtes ioniens (…).”
“Récit n’est pas le bon mot. Histoire est trop vague”
Cinq ans après en avoir consacré un à son père drogué, Le Livre de Jon, Eleni Sikelianos va tenter de cerner la vie et la personnalité de cette “effeuilleuse appelée Melena la Fille Léopard (un de ses nombreux noms de scène)” : sa grand-mère maternelle, star des cabarets de seconde zone aux Etats-Unis, qui eut cinq maris, dont un nain et un prêtre baptiste, et finit par s’installer dans un mobil-home dans le désert de Mojave.
Autant dire que l’écrivaine se lance dans un récit impossible tant les ellipses et les non-dits pullulent jusqu’à effilocher le tissu du vécu au point qu’on voit à travers. D’ailleurs, “récit n’est pas le bon mot. Histoire est trop vague. Il s’agit d’un réseau d’offrandes familiales, tissées de noirs filaments lumineux (…).”
Un drôle de texte, sorte de costume rapiécé
Le résultat est un drôle de texte, décousu comme il se doit, sorte de costume rapiécé : poèmes, interviews, souvenirs, mythologie, photos se côtoient dans ce qui ressemblera davantage à une installation qu’à un livre. C’est beau, bizarre et déroutant. Mais la limite de l’exercice réside peut-être dans un trop-plein de mots pour camoufler les vides de ce récit troué.
On préfèrera les parties plus classiques autour de cette femme hors norme et de ses filles, d’abord placées en foyer et à l’orphelinat, puis trimballées par leur mère au gré de ses voyages et de ses mariages. Au final, reste le texte-miroir de l’être au monde éclaté d’une génération d’immigrés qui eut à survivre par tous les moyens (quitte à devenir une femme-félin), sans jamais vraiment trouver sa place nulle part.
Animale machine – La Grecque prodige d’Eleni Sikelianos (Actes Sud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro, 208 pages, 22 €
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