Après une édition 2020 où la politique a – presque – été au centre du festival, retour sur quatre journées pleines de bande dessinées mais aussi de fureur et d’incompréhension.
Quand, bien après 20h, samedi 1er février, Florent Grouazel et Younn Locard sont montés sur scène pour recevoir le Fauve d’or – soit la récompense distinguant le meilleur album de BD de l’année – y voir le symbole d’une insurrection à venir a été tentant mais aussi facile. Avec Révolution (édité par Actes Sud BD-l’An2), les deux auteurs français, levant le poing au moment de brandir leur prix, ont entrepris de raconter à quatre mains les événements de 1789 comme ça n’avait jamais été fait avant. Si ce gros livre plein de vie, de furie et de maîtrise de narration doit servir d’étendard, c’est surtout aux récits historiques modernes qui révolutionnent un genre longtemps trop pépère. Néanmoins, cette distinction en forme de coup d’éclat décidé par le jury présidé par la dessinatrice Marion Montaigne (on y trouvait aussi Noémie Lvovsky ou Dominique A) résume bien une édition d’Angoulême où la création en matière de bande dessinée a affiché sa frondeuse santé tout en étant parasitée par des opérations politiques sources d’images parfois illisibles ou désastreuses.
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Macron et les LBD
Le mercredi précédent, c’est bien dans la joie que le festival a été lancé. En recevant son grand prix, le Français Emmanuel Guibert entonnait… du Luis Mariano. Si Catherine Meurisse et Chris Ware, les deux autres nominés (et donc perdants du soir) auraient fait de joli.e.s gagnant.e.s, Guibert, qui avait échoué plusieurs fois auparavant, méritait bien que ça soit son tour tant son œuvre (La Guerre d’Alan ou Les Sardines de l’espace) porte en elle la patte d’un auteur exigeant quel que soit le genre auquel il s’attaque. Mais, très vite, dès le jeudi et l’ouverture au public, la politique s’est invitée au festival. Premier président de la République à se déplacer à l’événement BD de référence depuis François Mitterrand, Emmanuel Macron se savait attendu. La distribution gratuite de Section Patachon, virulente et satirique gazette orchestrée par Jean-Christophe Menu et d’autres donnait le ton. Un impressionnant cordon de CRS, rendant la circulation difficile d’une exposition à l’autre, a empêché toute confrontation.
Dans un discours au théâtre d’Angoulême, le président a affirmé sa volonté de “quiétude” et les auteur.ices ayant déjeuné avec lui ont relevé l’envie de dialogue. Toutefois, le voir poser à l’initiative de Jul avec un t-shirt LBD2020 – associant de manière grinçante la mascotte du festival éborgnée et les acronymes du lanceur de balle de défense et de L’année de la BD 2020 (lancée officiellement quelques heures auparavant) – a semé le trouble. S’il a invoqué la liberté d’expression des auteurs, plusieurs syndicats policiers ont vivement réagi devant ce qui, pris hors contexte, semble être une provocation adressée tant aux policiers qu’aux manifestants des derniers mois. Objet d’une exposition rétrospective au musée de la BD, rendue encore plus jubilatoire par des crobards ajoutés sur les murs (dont un rappelant que la moitié des auteurs gagnaient moins que le SMIC), Lewis Trondheim a aussi apporté de la confusion avec une photo prise avec Emmanuel Macron grimaçant comme s’il était un humoriste et pas un chef d’Etat.
“Vive le foot, vive la BD, vive les meufs”
Heureusement, la bande dessinée a pu ensuite reprendre ses droits. Le Canadien Seth, récompensé samedi soir du prix du jury pour Clyde Fans, confiait lors d’une rencontre publique combien l’exposition consacrée au Japonais Yoshiharu Tsuge l’avait stimulé comme rarement. A la sortie de l’exposition consacrée à Nicole Claveloux – récompensée d’un fauve d’honneur et du Fauve Patrimoine pour La Main Verte scénarisé par Edith Zha – certains artistes de la jeune génération étaient pris en plein flagrant délit d’émerveillement. Catherine Meurisse bouclait la boucle en voyant exposées, à côté des originaux de La Légèreté ou Delacroix les planches qui lui avaient fait gagner le concours pour les scolaires d’Angoulême alors qu’elle avait 13 ans.
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Samedi soir, la remise des prix a démenti toute volonté d’être élitiste puisque le prix du public France Télévisions a été décerné à la dessinatrice Chloé Wary pour La Saison des roses et son histoire d’apprenties-footballeuses, un livre pourtant en concurrence avec un album plus commercial tel que Les Indes Fourbes d’Alain Ayroles et Juanjp Guarnido. Très émue, Chloé a lancé : “vive le foot, vive la BD, vive les meufs”. Finalement, l’image que l’on retiendra du festival est celle de dizaine d’auteurs et d’autrices, le visage caché par une feuille blanche, invités à monter sur scène par les deux scénaristes Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval. Récompensés du prix Goscinny pour la série Le Dernier Atlas qui évoque l’écologie et l’histoire coloniale française dans le cadre d’une BD de science-fiction, les deux hommes ont fait un discours vibrant pour que les choses bougent concernant la rétribution des auteurs et autrices. “Que l’année de la BD soit une année de lutte et de construction (…) Sans changement, les auteurs n’iront plus à Angoulême, en 2021 et après” Vendredi, un débrayage d’une heure décidé par le syndicat des éditeurs alternatifs a montré à quoi Angoulême pourrait ressembler sans celles et ceux dont la créativité le fait exister.
Le palmarès complet est à retrouver ici.
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