Les souvenirs de Jon Roberts, un des plus grands gangsters américains, mixent l’humour de Woody Allen avec le gore de Tarantino. Plongée dans
la mafia et le monde de la nuit où l’on croise Jagger, Cassavetes ou Hendrix.
« Pour se débarrasser d’un cadavre, le moyen le plus simple c’est le bateau. Parvenu au large, on explose les dents de l’indic à coups de marteau avant de les jeter par-dessus bord. Puis, avec un couteau bien aiguisé, on ouvre le corps de l’anus au plexus. Les intestins sautent comme du popcorn. (…) Les cadavres flottent à cause des gaz que produisent les sucs intestinaux. Pas d’intestins, pas de problème.” Ce cours de largage de macchabée n’est pas extrait du “Petit manuel à l’usage des criminels”, mais des mémoires de l’un des plus grands criminels américains du XXe siècle. Ames sensibles, passez votre chemin, ce livre est plus gore qu’un film de Tarantino, mais aussi plus palpitant que tout autre roman de gangsters.
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“Tout est permis à condition de ne pas se faire coincer »
Ecrit avec Evan Wright, un journaliste américain qui a pu longuement rencontrer Jon Roberts avant sa mort en 2011, le récit de la vie absolument décadente de Roberts en apprend plus sur le fonctionnement de la mafia américaine que n’importe quel documentaire sur Lucky Luciano : une mine d’informations racontées sur le ton du badinage, les confessions d’un malfrat pas du tout repenti mais surtout le récit désopilant d’une vie menée à l’encontre de tout politiquement correct. Jon Roberts, né Riccobono, voit le jour en 1948 dans le Bronx et grandit dans le crime comme d’autres dans la soie. Son père, immigré italien, est affilié à la mafia locale. Il n’a pas 10 ans quand il assiste à son premier assassinat. Leçon retenue : “Tout est permis à condition de ne pas se faire coincer”, et “si on fait quelque chose de mal, il faut le faire avec détermination”.
Gamin, il sème la terreur avec sa bande de copains dans les rues de Little Italy. “On était comme une meute de chiens sauvages courant dans les rues”, se souvient-il. Mais une meute armée jusqu’aux dents et sans l’ombre d’un scrupule. Ses années de délinquant juvénile l’envoient tout droit en prison, dont il se tire en acceptant le ticket du gouvernement pour le Vietnam. Comme tant d’autres, il s’y exerce à la barbarie autorisée. De retour à New York à la fin des années 60, Roberts devient un “soldat de la mafia” et prend en charge, pour sa famille de truands, la gestion des clubs les plus en vue de la ville. Habillés à la mode extravagante des seventies, Roberts et ses copains croisent Jimi Hendrix et Cassavetes, Mick Jagger et une James Bond girl qui finit dans son lit… “J’adorais braquer les gens”, s’amuse-t-il. Et il s’adonne à sa passion quotidiennement, rackettant étudiants et petits bourges quand il ne passe pas ses nuits à jeter des poignées de LSD ou de Quaalude dans les boissons qu’il sert en boîte. Finalement recherché par la police, il se fait la malle à 26 ans et pose ses valises à Miami. Il y fait la rencontre d’Albert San Pedro, un Cubain totalement allumé, trafiquant de cocaïne, bigot et pyromane, qui adore mettre le feu aux maisons de ceux qui auraient eu la mauvaise idée de lui chercher des noises. Le business est florissant, mais les affaires prennent une toute autre dimension quand Roberts rencontre les Colombiens.
En dix ans, il aurait fait entrer pour deux milliards et demi de coke aux Etats-Unis
Au cours des deux décennies suivantes, en affaires avec le cartel de Medellín, dirigé par l’énorme Fabio Ochoa, patron de Pablo Escobar, il importe des centaines de tonnes de cocaïne. Avec son acolyte Mickey Munday, le MacGyver du transport de stupéfiants, jamais à court d’idées pour customiser avions et bateaux et transporter ni vu ni connu des kilos de coke à la barbe des policiers, soit ripoux, soit totalement largués, Roberts s’éclate et vit la grande vie. Quand son doberman préféré se casse les dents sur un alligator à la peau dure, il l’envoie en avion à l’autre bout du pays se faire poser des prothèses en or, et quand la justice s’intéresse à lui de trop près, il achète un juge à coups de valises de cash.
Psychopathe autoproclamé, Jon Roberts est un personnage profondément iconoclaste, mais surtout hilarant. “Bryan était excessif. Un jour, il a forcé un type à manger son arme”, confie-t-il ainsi au sujet de son associé. C’est ce mélange d’horreur et de détachement qui fait tout le sel d’un livre qui aurait pu tourner à l’énumération de faits d’armes pour rappeurs apprentis- gangsters. Au lieu de quoi, American Desperado fait se rencontrer Woody Allen et Tarantino, Oliver Stone et Michel Audiard. Magouilleur jusqu’au bout, Roberts finit malgré tout par se faire prendre. Selon l’acte d’accusation, il aurait fait entrer pour deux milliards et demi de coke aux Etats-Unis entre 1975 et 1985. De quoi le mettre à l’ombre pour trois siècles. Il accepte donc de coopérer avec la justice et se vante d’avoir bénéficié d’une “remise de peine de 297 ans en échange de trois fois rien”. Jon Roberts est mort d’un cancer en décembre 2011, en Floride. Jamais rangé.
Clémentine Goldszal
American Desperado de Jon Roberts et Evan Wright (13e Note), traduit de l’anglais (Etats- Unis) par Patricia Carrera, 696 pages, 25,95 €
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