Une fille se fait passer pour une autre et déjoue les pièges de l’identité féminine ou sociale. Un premier roman ironico-mélancolique, drôle et hyper singulier.
Pauline Klein ne se prend pas au sérieux. Elle n’écrit pas, elle s’amuse. Elle joue à la poupée et manipule ses personnages comme des marionnettes dont elle tire les ficelles un petit sourire au coin des lèvres. Passée par des études de philo et l’école d’art Central Saint Martins de Londres avant de travailler chez Sonia Rykiel, cette trentenaire fait son entrée en littérature avec une première fiction d’une intelligence enjôleuse, à la fois moderne et gracieuse, un livre matriochka dans lequel les personnages s’emboîtent allègrement.
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La narratrice d’Alice Kahn est une page blanche, une enveloppe vide qui ne demande qu’à être comblée. Elle se croit invisible, inexistante. Jusqu’à ce que William Stein, un photographe, la prenne pour une autre à une terrasse de café. Elle ne le détrompe pas et décide de devenir cette autre, cette “Anna”. Anna, un prénom palindrome, miroir qui lui renvoie une image d’elle-même fantasmée, une identité rêvée.
“Ce n’est pas de moi dont William tombera amoureux, c’est du portrait que je ferai d’Anna.”
Alors elle modèle Anna, la sculpte selon les désirs de William, la taille sur mesure. Anna devient son œuvre, un work in progress, une sorte de performance. La narratrice étrenne d’ailleurs sa nouvelle identité à un vernissage. Dans le petit théâtre en trompe l’œil de Pauline Klein, l’art contemporain offre une idéale toile de fond.
William évolue dans ce milieu – brossé avec une distance ironique – et la narratrice-Anna fait mine de s’y couler en inventant le personnage d’Alice Kahn, une artiste fictive dont elle cite le nom afin de passer pour une connaisseuse. Faussaire géniale et espiègle, elle imagine les œuvres d’Alice Kahn, lui prête, entre autres créations, des parties de golf avec un glaçon ou encore “des petites performances avec de l’électricité”.… Tout en s’élaborant, le mensonge sonne de plus en plus vrai, l’illusion se perfectionne et les repères entre le vrai et le faux, la réalité et la fiction finissent par s’estomper.
Brouillant ainsi les frontières entre l’authentique et l’imposture, Pauline Klein questionne la notion d’identité à la manière de Cindy Sherman ou de Christian Boltanski, qui ont élevé les faux-semblants au rang d’œuvres d’art. Mais derrière cette fantaisie légèrement perverse, ponctuée de traits d’humour absurdes (une citation incongrue de Michael Schumacher, un entretien d’embauche surréaliste avec Benoît Suze et Marie Brizard), s’esquisse quelque chose de plus profond, de plus mélancolique aussi. La narratrice se glisse dans la peau d’Anna ou d’Alice Kahn pour s’absenter d’elle-même, oublier qui elle est.
Jouer à être ces autres, c’est retomber en enfance et récrire l’histoire de la petite fille devenue femme invisible. Comme si le champ des possibles s’ouvrait à nouveau :
“Elle est devenue tout ce que je n’étais pas, et tout ce que je voulais être.”
Celle qui a l’impression de vivre hors champ se retrouve au milieu du cadre. Elle ne passe plus inaperçue. Le singulier talent de Pauline Klein non plus.
Alice Kahn de Pauline Klein (Allia), 128 pages, 6,10 €
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