L’épopée de Muhammad Ali racontée à coups de citations. Frédéric Roux offre au boxeur une biographie polyphonique à la mesure de son mythe. Percutant.
Au hasard des pages, on croise Norman Mailer, Sylvester Stallone, Toni Morrison, Hunter S. Thompson, Philip Roth, Andy Warhol, Bob Dylan et même Platon. Frédéric Roux a réuni le meilleur autour du « plus grand » : Muhammad Ali. Dans Alias Ali, le romancier, auteur d’une vingtaine de livres dont un Éloge du mauvais goût, orchestre une biographie polyphonique du boxeur, cut-up composé de citations réelles ou fictives, montage de punchlines qui frappe juste. Les voix des parents de Muhammad Ali, Cassius Senior et Odessa ; celles de ses adversaires, Sonny Liston, Joe Frazier, George Foreman ; de ses compagnes, ses enfants, d’auteurs célèbres, de journalistes sportifs, de Malcolm X, de Frantz Fanon ou de Martin Luther King et même d’un certain Frédéric Roux entrent en collision, s’agrègent et se contredisent pour aboutir à une formidable chanson de geste qui retrace dans toutes ses dimensions la légende de Cassius Clay, alias Muhammad Ali, alias « The Greatest ».
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Hypermalin et efficace, le dispositif mis au point par Frédéric Roux n’a rien de gratuit ou d’artificiel. Au contraire, il est sans doute le plus adapté à la personnalité multiple et paradoxale du roi des rings, à la fois champion de boxe catégorie poids lourds, conscience politique, figure sociale et bête médiatique. « Génie de la pub », Ali a compris très vite les règles de la société du spectacle, l’importance de savoir se mettre en scène quitte à envoyer la vérité dans les cordes, à truquer la réalité comme dans certains combats arrangés par la Mafia. Tout autant que son talent – « il vole comme un papillon, il pique comme une abeille » -, ce sens du divertissement a permis à Muhammad Ali de devenir une mythologie pop au même titre qu’Andy Warhol ou Elvis ; une icône de l’Amérique des sixties.
Alias Ali déroule les grandes étapes de la vie du champion : son enfance à Louisville (Kentucky), sa conversion à l’islam et son changement de nom, son engagement pour les droits civiques, son refus de partir au Vietnam, ses poèmes, ses victoires, son combat mythique au Zaïre contre George Foreman, son déclin. Mais pour chacune d’entre elles, le livre de Frédéric Roux donne à voir différentes versions, ou plutôt donne à entendre différents échos d’un même événement, si bien que la vérité d’Ali ne cesse de fluctuer, toujours en mouvement comme Ali lui-même, baptisé par certains le « Noureev en short » à cause de son inimitable jeu de jambes.
Le lecteur, lui, ne sait plus sur quel pied danser : tout est sujet à caution. Muhammad Ali était-il idiot comme certains le laissent entendre ou au contraire très intelligent ? Était-il manipulé par la Nation of Islam qui souhaitait diffuser ses idées à travers lui ou conscient de ce qu’impliquait son appartenance à cette organisation ? Timide ou tombeur ? Fauché ou plein aux as ? Loin d’abîmer la statue d’Ali, cette perpétuelle mise en doute lui donne encore davantage d’épaisseur et colle au plus près à son mythe protéiforme. Le sacre par la fiction.
Alias Ali (Fayard), 640 pages, 22 €
Elisabeth Philippe
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