Le singulier talent et l’humour d’Alexis, disparu à 30 ans en 1977, à redécouvrir dans un recueil de trois albums.
Tous les arts ont leur Raymond Radiguet, leur James Dean, leur surdoué parti trop tôt, celui dont on dit : “On ne saura jamais jusqu’où il aurait pu aller”. Pour la BD, c’est Alexis. Compagnon de route de Gotlib, entré à Pilote en 1968 puis cofondateur de Fluide glacial en 1975, Alexis a disparu entre deux cases de SuperDupont en 1977. Il avait 30 ans.
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Entraîné dans le rythme trépidant des magazines d’humour et de bande dessinée (pardon, “d’umour et de bandessinées”) et des collaborations tous azimuts (Fred, Lauzier, Druillet, Delporte…), il n’a pas créé l’oeuvre au long cours, la série incontournable qui ferait aujourd’hui de lui une des figures révérées de la BD.
Pour la postérité, il est d’abord, depuis plus de trente ans, l’inamovible et mystérieux “directeur de conscience” de Fluide glacial. En regroupant trois albums de sketches et d’histoires courtes témoins de ces années fertiles – Avatars et coquecigrues (1975), Fantaisies solitaires (1978) et Dans la joie jusqu’au cou (scénarios de Gotlib, 1978) –, la présente intégrale répare en partie ce déficit de notoriété et permet de redécouvrir le singulier et stupéfiant talent d’Alexis.
Né Dominique Vallet en 1946, Alexis a visiblement moins grandi avec Tintin et Spirou qu’avec les récits d’aventures du journal Vaillant (Raymond Poïvet, Eduardo Coelho) et les grands auteurs de la BD américaine (Alex Raymond, Milton Caniff). Il en a déduit un trait élégant et tout-terrain, qui lui permet de s’adapter avec aisance à toutes les situations. Dans ses histoires personnelles, il passe sans effort apparent du fantastique (Vengeance) à l’humour (Un bémol pour Léonard), du roman noir (Un sale boulot) à la pochade sexy (Taquineries).
Quand il illustre Gotlib, il se fond naturellement dans le style “réalistico- comique” de l’auteur de la Rubrique-à-brac. Sa virtuosité est même l’un de ses principaux ressorts comiques, car il prend bien souvent un malin plaisir à dynamiter en une case de chute absurde l’ambiance pesante d’une BD de genre que deux planches à peine lui ont suffi à créer (Désespoir, Nuit cruelle, Quand je pense…). Ce jeu de décalage plein d’ironie trouve son apogée dans Histoire de causer, où les lieux communs débités par les personnages servent de fil conducteur à un époustouflant panorama graphique et social.
Impressionné par tant de talent, Gotlib dit d’Alexis qu’il était “capable de dessiner un château fort moyenâgeux en deux minutes et en faisant les pieds au mur”. Mais il oublie d’ajouter qu’il pouvait ensuite le démolir pierre à pierre en trois cases. Car Alexis possédait aussi le don de savoir mettre en scène un imaginaire rare, des mondes aux valeurs inversées, des murs qui prennent vie et des arbres à clowns. Il y avait là le matériau d’un chef-d’oeuvre. Alexis avait tout pour le réaliser. Sauf le temps.
Intégrale Alexis + Gotlib (Fluide Glacial), 144 pages, 29€
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