Son premier roman Les Instructions, épopée furieuse et démente adoubée par la presse américaine, a déjà l’aura d’un livre culte. Découverte du phénomène Adam Levin.
On s’attendrait presque à rencontrer un gamin de 11 ans. Normal, après avoir passé plus de mille pages en compagnie de Gurion (oui, comme David Ben Gourion, le fondateur de l’Etat d’Israël), on s’est attaché à ce pré-ado supérieurement intelligent et archiviolent qui se prend pour le messie, héros des Instructions, le premier roman génial et réjouissant d’Adam Levin. Mais non, l’écrivain américain originaire de Chicago a bien 34 ans et il a quitté le collège il y a longtemps.
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Sweat à capuche gris, crâne rasé et lunettes à épaisse monture noire, il nous attend, tranquillement attablé dans un café de l’Est parisien. Cela dit, à y regarder de plus près, on décèle sans peine la part d’enfance dans le visage un peu rond de l’auteur, un côté espiègle et sale gosse quand il ponctue ses phrases de « fuck » et de « assholes ». Et si, finalement, Gurion c’était lui ?
« Je n’étais pas aussi intelligent et violent que Gurion, mais je me battais pas mal, répond Levin en riant. Je n’étais pas sûr d’incarner le messie mais, comme beaucoup de petits garçons juifs, je me disais qu’il y avait une chance que ce soit mon cas. Ça m’est passé à 13 ans, quand j’ai embrassé une fille pour la première fois. Je me suis dit que c’était ça qui me plaisait dans la vie et ça ne me semblait pas compatible avec les préoccupations d’un messie. »
Gurion aussi tombe amoureux, ce qui ne l’empêche pas de croire sérieusement en sa destinée néobiblique. Il en est tellement sûr qu’il convertit sa petite copine Eliza June Watermark, une « gentille ». Il a aussi rédigé son propre texte sacré – « Les Instructions » – et il se fait appeler « rabbin » par ses anciens copains de yeshiva. Fils prodige de Judah Maccabee, avocat défenseur de néonazis au nom de la liberté d’expression, et d’une psy d’origine éthiopienne qui a combattu dans les forces spéciales israéliennes (la mère de Levin est arrivée d’Israël à 17 ans aux Etats-Unis ; son père était à la tête d’une compagnie d’assurances), Gurion s’est fait virer de plusieurs collèges avant d’atterrir à Aptakisic, sorte de centre de redressement pour élèves à problèmes où il est condamné à suivre le programme Cage.
Là, celui qui s’est auto-intronisé sauveur des « Israélites » – terme qu’il préfère à Juifs – organise la résistance en armant ses camarades de lutte de « fusils-à-cents » (le mode d’emploi figure dans le livre sous forme de calligramme) et prend la tête d’une insurrection monumentale : du Cecil B. DeMille suédé par Michel Gondry, les guerres judéo-romaines revues par les frères Coen, l’apothéose des quatre journées qui se déploient dans ce livre-monstre, teen-novel théologico-dément, hilarant, follement érudit et plus dérangeant qu’il n’y paraît.
« En écrivant, j’avais en tête les films qui ont marqué mon adolescence comme Outsiders ou Violences sur la ville, où il est toujours question des ‘good guys’ contre les ‘bad guys’, explique Levin. Je voulais me servir de ces codes-là et les pervertir en créant des personnages beaucoup plus ambivalents et complexes. Je voulais aboutir à un récit dynamique et explosif, un peu comme dans End Zone de Don DeLillo, un livre dont l’énergie me fascine. »
Adam Levin a mis cinq ans à écrire son épopée « gurionique », remaniant sans cesse son texte. Son manuscrit a enthousiasmé les très exigeantes éditions McSweeney’s dirigées par Dave Eggers. A la sortie des Instructions aux Etats-Unis, la presse a abondamment comparé Adam Levin à David Foster Wallace, l’auteur du cultissime Infinite Jest – livre jamais traduit en français -, qui s’est suicidé en 2008. « Evidemment, ça m’a beaucoup flatté, mais la comparaison me paraît superficielle, rectifie Levin. OK, comme dans Infinite Jest, il est question d’un petit génie. Mais les ressemblances s’arrêtent là. Chez Foster Wallace, la narration est ultrafragmentée, alors que mon livre est plutôt linéaire. »
Inserts de mails, plans, calligrammes, néologismes, notes de bas de page : le roman d’Adam Levin affiche nombre de gimmicks chers à la littérature postmoderne, sans jamais verser pour autant dans des expérimentations hermétiques ou prétentieuses. Les influences de Levin sont davantage à chercher du côté de Philip Roth et J. D. Salinger que de Mark Z. Danielewski. Philip Roth, par-dessus tout. L’auteur de Pastorale américaine apparaît d’ailleurs en gueststar dans Les Instructions, pour une scène d’anthologie.
« J’ai envoyé mon livre à Roth mais je pense qu’il ne l’a pas lu. Il a récemment déclaré qu’il ne lisait plus de fiction. Les mille pages des Instructions, ça fait quand même beaucoup de fiction ! J’admire Philip Roth, la diversité de son oeuvre. Il a écrit des livres très différents les uns des autres, mais l’empreinte de son intelligence les marque tous. Il est même parvenu à m’intéresser au base-ball avec Le Grand Roman américain. »
En lisant Les Instructions, on pense aussi au Livre de Dave de Will Self et au Dernier Testament de Ben Zion Avrohom de James Frey (Flammarion, lire p. 118), deux livres où il est également question de messies peu orthodoxes : un chauffeur de taxi raciste pour le premier et un zonard bisexuel et drogué pour le second.
« Je ne sais pas si cette tendance messianique est dans l’air du temps ou si elle a un rapport avec la montée du fanatisme religieux, s’interroge Levin. Ce sont plutôt le 11 Septembre et un personnage comme Ben Laden qui m’ont inspiré. Je voulais essayer de comprendre ce qui peut pousser des gens à suivre aveuglément un homme, la part de séduction et de charisme qu’il y a là-dedans. »
La discussion dévie sur la folie nationaliste post-11 Septembre aux Etats-Unis, l’émergence du Tea Party, Sarah Palin, « un cartoon » qui l’effraie moins que Michele Bachmann, « plus intelligente et donc plus dangereuse ». Adam Levin aborde tous les sujets avec humour et esprit, s’inquiète sans cesse de la pertinence de ses réponses et ne se prend pas au sérieux. Il pourrait, cependant : son premier roman a tout pour devenir un livre culte.
Elizabeth Philippe
Les Instructions (Editions Inculte), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Barbara Schmidt et Maxime Berrée, 1 056 pages, 29,90 euros.
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