Dans un moment de grands bouleversements et à la veille de changements drastiques, à souhaiter ou à redouter, face à tant d’incertitudes sur notre place dans le monde, comment vivre ? Pour penser ces nouvelles situations sociétales, politiques et intimes que nous traversons, de nouvelles figures font irruption dans le champ des idées pour se saisir de ces questions aussi théoriques qu’humaines. Voici celles et ceux sur lesquel·les nous parions pour l’avenir, à retrouver dans les numéro 19 des “Inrockuptibles”.
Être à sa place : ce n’est pas un hasard si la philosophe Claire Marin, qui publie pourtant depuis 2008, qui publie pourtant depuis 2008, s’est enfin fait connaître du grand public l’année dernière avec ce titre. Car il s’agit d’une question – d’un problème ? – plus que jamais essentielle à une époque bousculée par tant de remises en question… Entre avancées civilisationnelles spectaculaires (MeToo, interrogations salutaires sur le genre) et reculades à cent à l’heure (retour de la menace fasciste, montée planétaire des extrêmes droites, guerre en Ukraine, remise en question d’acquis tels le droit à l’avortement et la couverture sociale).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Entre coups d’accélérateur technologique (internet, réseaux sociaux), avec ce que cela implique sur nos psychés, et régression populiste. Sans même parler du réchauffement climatique, de la question cruciale du vivant, des grands mouvements migratoires… Bref, nos existences ont pris un tour de plus en plus fragile, nos certitudes et nos modes de vie semblent davantage vulnérables. Comment, donc, être à sa place, trouver sa place, se sentir à la juste place dans un environnement secoué par des bouleversements aussi épistémologiques que politiques, et souvent aussi radicaux qu’en opposition les uns avec les autres ?
Nous vivons avec l’impression d’être au bord d’une brèche, d’un gouffre, à la veille d’un tsunami, bref au seuil de grands changements, de grandes fins ou, plutôt, de grands débuts. Ce n’est pas non plus un hasard si un précédent livre de Marin portait le titre de Rupture(s), et si son nouvel essai s’intitule Les Débuts : comment penser ce qui vient après un choc, une rupture, une fin ? Ces bouleversements sociétaux et leurs ondes de choc dans nos sphères intimes impliquent cette idée de début, de commencement, de nouveauté.
“Être à sa place”
Et ces temps nouveaux appellent de nouvelles voix en sciences humaines pour se saisir du monde, nous le traduire, ouvrir de nouveaux champs, de nouveaux chemins où “être à sa place”, commencer ou recommencer, déconstruire puis construire (pour reprendre une terminologie très contemporaine). De nouvelles voix en sciences humaines qui, dans le sillage de Claire Marin, ressentent et analysent l’air du temps avant nous-mêmes. Nous avons choisi de mettre en avant des penseurs et penseuses qui ont émergé récemment, afin de déchiffrer notre place dans le monde d’aujourd’hui et de demain.
Louisa Yousfi pour sa vision décolonialiste et le statut d’immigré·e en France. Elle a publié l’essai Rester barbare l’année dernière, dans lequel elle interroge justement la place en France des enfants d’immigré·es issu·es de colonies françaises et pose la question de ces identités plus complexes que ne le souhaite le pays d’accueil, qui préconise avant tout l’intégration. Comment être à sa place dans un lieu qui exige de soi le reniement de son autre part, de ce qui nous compose, ce que Yousfi a choisi de nommer sa part “barbare” ?
Matière à malaxer
Comment être à sa place lorsque l’on transitionne d’un genre à l’autre ? C’est le récit que fait Tal Madesta dans son deuxième ouvrage, La Fin des monstres, un an après avoir questionné le désir érotique et le couple amoureux dans Désirer à tout prix. “La société tout entière envisage nos corps trans sous l’angle de la monstruosité ou de la mutilation, nos parcours comme une création médicale digne du monstre de Frankenstein, nos joies et nos malheurs à l’aune du délire collectif ou du récit pathétique, nos luttes comme une menace aux droits des femmes”, s’insurge-t-il en introduction. Cinq ans après l’apparition du hashtag et du mouvement Me Too, quelle masculinité incarner aujourd’hui en tant que personne trans ?
Philosophe et danseuse, Emma Bigé explore, elle, les relations entre danse et écologie dans deux “expositions-en-danse”, Gestes du Contact Improvisation (Musée de la danse, 2018) et Steve Paxton: Drafting Interior Techniques (Culturgest, 2019). Son premier livre, Mouvementements. Écopolitique de la danse, examine la notion de débordement, ou comment “nouer nos gestes au-delà des fausses frontières de l’individu et de l’humain”, “des manières de danser-sentir-penser l’enchevêtrement de nos mouvements”.
Notre relation au vivant : cette question, primordiale, agite le géographe Guillaume Faburel qui incite à inventer une société post-urbaine durable. Si le monde bouge, la pensée aussi, les pensées aussi, multiples, protéiformes, mobiles, remuantes, nous rappelant que rien n’est figé, que tout peut (encore, un peu) être questionné, déconstruit et reconstruit, différemment. Loin des normes et des carcans. Plus précisément. Matière à malaxer pour lui donner d’autres formes, individuelles et collectives, intimes et sociétales.
Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Et avec qui ? Éléments de réponse dans les pages de notre numéro d’avril.
{"type":"Banniere-Basse"}