C’est quoi l’amour ? Exemples via quelques romans qui font froid dans le dos.
La vie regorge d’amis bien intentionnés qui, nous voyant cinq minutes célibataire, s’inquiètent : “Tu n’es pas amoureux en ce moment ?” Et quand ça arrive, s’inquiètent encore : “Tu es sûr que tu es amoureux ?” Par ailleurs, la vie regorge d’acteurs, d’actrices et autres people qui passent leur temps à confier aux magazines leurs histoires d’amour, les transformant instantanément en romans-photos. Marre de la nunucherie généralisée ? Lisez des livres, voyez des films, et vous y découvrirez que l’amour, ça a une autre gueule que les bluettes que vos proches voudraient vous faire jouer.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On y constate souvent que l’amour n’est que stratégie sociale (Balzac, Maupassant, etc.), ou alors tellement métaphysique qu’il va falloir s’accrocher pour le vivre – et surtout, pour ne pas en mourir. Oubliez la vue de vos voisins au marché avec leurs trois enfants fringués bobo : l’amour, le vrai, est une chose dangereuse… On se souvient de Pandora, le film d’Albert Lewin, quand Ava Gardner se déclare à James Mason, alias le Hollandais volant : elle emploie le mot “mystique” pour décrire l’impression qu’elle a de le connaître depuis toujours, depuis avant sa naissance, et de l’avoir ainsi non pas “connu”, mais “reconnu”. Impression aussi forte que vertigineuse d’être prisonnière d’un sort – d’un destin écrit à son insu, qu’elle rencontre enfin.
A lire aussi : Livre : les femmes et le sexe, vive les clichés
L’amour, vu ainsi, n’est pas un choix mais une sublime prison temporelle, éternelle, dont on ne rompt les barreaux que par la mort. D’ailleurs, l’histoire d’amour d’Ava finira mal, très mal. Dans Le Maître et Marguerite, le chef-d’oeuvre de Boulgakov, on trouve l’un des plus beaux coups de foudre de la littérature, l’un des plus justement (et simplement) décrits, quand le Maître rencontre Marguerite. Il croise un jour aux abords du Kremlin une jeune femme avec un petit bouquet de fleurs jaunes. Il l’aborde, lui dit qu’il déteste les fleurs jaunes, quand il s’aperçoit soudain qu’il aime cette femme “depuis toujours”. Depuis toujours sans l’avoir jamais vue ? L’amour comme évidence d’un au-delà du temps, de la vie et de la mort.
L’amour : le sentiment métaphysique par excellence, loin de l’imagerie rose bonbon des tabloïds, loin du discours des autres, c’est ce dont personne ne parle. Peut-être parce qu’ensuite la confrontation entre métaphysique et prosaïsme du réel peut rendre fou si l’on n’a pas pris soin de l’affadir, de le neutraliser. Ne pas oublier que lorsque le Maître raconte sa rencontre, il se trouve enfermé dans un hôpital psychiatrique, atteint de dépression profonde. Et qu’est-ce, après tout, que le Dracula de Bram Stoker sinon le roman d’un homme prêt à boire le sang de ses contemporains pour se condamner à l’éternité et retrouver, même si cela doit prendre des siècles, celle qu’il aime réincarnée sous les traits de la jeune Anglaise Wilhelmina.
Qui a dit que l’amour était un truc clean ? Car qu’est-ce que la vie quand celui ou celle qu’on sent aimer “depuis toujours”, de toute éternité, disparaît ? Il arrive que les physiques se dissolvent dans la métaphysique : d’où ces héros et héroïnes qui meurent “par amour”. Charles Bovary dans Madame Bovary, pour n’en citer qu’un – ou Emma elle-même, dont la soif d’absolu ne s’est pas réalisée sur terre, se heurtant au réel le plus ordinaire (l’argent). Les exemples sont pléthore. Alors la prochaine fois qu’on vous demande si vous êtes amoureux comme s’il s’agissait d’une jolie comptine pour petite fleur bleue, répondez que non – vous ne voulez ni mourir, ni devenir fou. A moins que…
A lire aussi : Quelques conseils pour bien procrastiner
{"type":"Banniere-Basse"}