L’écrivain, auteur des remarqués “77” et “G.A.V.”, se projette près de Manosque pour un texte qui plonge corps et âme dans la vie laborieuse de quelques paysan·nes excentré·es.
À la terre est sous-titré Un reportage littéraire de Marin Fouqué. De fait, le reportage est là, dans une petite ferme du Sud-Est. Marin Fouqué journaliste ? Certes, mais hétérodoxe : il ose le “je”, prohibé dans la presse française post‑gonzo. Pire, c’est-à-dire mieux, il privilégie la littérature, inventeur d’une hybridation qui romance le reportage et “reportagise” le roman.
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Tout commence dans une école des beaux-arts. Un élève endure les commentaires malveillants d’un professeur sur son travail : la peinture d’un cul énorme, “c’est-à-dire l’arrière-train d’une INRA 95, c’est-à-dire un culard, c’est-à-dire une anomalie génétique, c’est-à-dire un animal créé par l’homme, c’est-à-dire un bovin aux muscles hypertrophiés d’hormones, c’est-à-dire une bête conçue pour l’abattoir, ça veut dire un tas de steaks sur pattes”. Le professeur : “Uhmmokay, et qu’est-ce que ça questionne ?” L’étudiant ne répond pas ce qu’il pense : “Ça questionne ton ventre, connard.
Sur ce, courage, fuyons. À la vitesse d’un TGV qui amène le narrateur à la gare d’Aix, “une aberration posée au milieu de nulle part”.
Comment décrire une agriculture qui “en vient aux mains avec la nature” ?
Marin rejoint Valentin, un ami qui travaille une parcelle de terre près de Manosque avec sa femme Islemme, bergère, et leur jeune fils Naïm. Comment décrire une agriculture qui “en vient aux mains avec la nature” ? Marin Fouqué écrit minimaliste : “Bordel que c’est beau.” Mais aussi : “Un léger vent fait ondoyer les hautes herbes, hectares mouvants destinés aux pâtures, tandis que les quatre serres rayonnent fort dans les premières lueurs du jour, et derrière elles, des légumes de toutes sortes se tenant fièrement en terre, taches et points formant des sillons de couleurs, avec au loin le tracé des montagnes, encre de Chine délavée par la brume.”
Bordel que c’est bien écrit. Avec, terre à terre, un écho de Giono, extrait de Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix : “Et le mouvement paisible de vos champs s’ajoute à vos cœurs paisibles.”
Le cœur de Marin n’est pas paisible, la colère le broie tous azimuts jusqu’à alpaguer les écolos qui se soucient de leur assiette mais pas du travail de ceux et celles qui la remplissent.
“Peut-être que dans ce pays, il faudrait toujours se balader avec des brebis derrière soi”
De cette rage naît aussi des douceurs. Apaisement par des chiens qui font la fête : “Aucune rave de bouseux ni aucune orgie de milliardaire n’arrivera jamais à leur hauteur. Implosion de râles, écume de bave, fracas d’envie.” Apprentissage par le gamin Naïm. Sagesse par Islemme quand elle traverse un village avec son troupeau de brebis.
“D’un seul coup, tous les visages se retournent et chacun retombe en enfance, et il n’y a plus de bêtise, et il n’y a plus de haine et il n’y a plus de racisme qui tienne. Alors peut-être que dans ce pays, il faudrait toujours se balader avec des brebis derrière soi.” Pour aller où ? “Si je devais n’avoir qu’une question, jusqu’à la tombe et dans ce texte, ce serait celle-ci : c’est quand qu’on arrive ?” Avec de la terre sous les ongles. “Il a tiré d’autres cordeaux, sillonné d’autres boues, planté d’autres graines. Il a compris que le plus dur restait encore de commencer une nouvelle ligne. Tout pareil que l’écriture.”
À la terre de Marin Fouqué (XXI Bis), 96 p., 9 €. En librairie le 31 mai.
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