Pour prendre le pouls des tensions raciales en Amérique, l’écrivain revisite un siècle de racisme violent aux États-Unis à travers le prisme d’un roman policier contemporain.
Dans la banlieue de Money, Mississippi, toute la famille de Wheat Bryant est réunie autour d’une piscine sans eau. Au milieu de conversations banales, l’aïeule commence à monologuer, les yeux dans le vague. Mamie C explique à sa belle-fille qu’elle pense à “un truc [qu’elle] regrette. Quand [elle] a menti sur ce gamin noir il y a des années.” Tout le monde la rassure. C’est de l’histoire ancienne.
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Un chapitre plus tard pourtant, le fils du frère de Mamie C., Junior Junior, est retrouvé assassiné. Wheat subit le même sort. À chaque fois, la police retrouve sur la scène du crime le corps mutilé d’un homme noir portant un costume bleu. Une référence à l’assassinat d’Emmett Till, jeune garçon noir battu à mort en 1955 par les pères de Junior Junior et de Wheat. Till avait été accusé par Carolyn Bryant (Mamie C.) de lui avoir fait des avances. Ses deux bourreaux n’ont jamais été punis et dans le roman, c’est loin d’être de l’histoire ancienne.
Un siècle d’histoire américain
Car avec Châtiment, Percival Everett continue – son œuvre compte une bonne trentaine de romans et de recueils de poésie – de déterrer les fantômes de l’Amérique. L’auteur, qui adore changer de genre littéraire pour mieux en détourner les codes, s’attaque ici au roman policier, genre qui lui permet de mettre en lumière un racisme présent dans toutes les couches de la société, des agents fédéraux qui mènent l’enquête aux victimes noires retrouvées sur la scène de crime et qui, même mortes, font des coupables idéales. Mais elle lui sert aussi à retourner les stéréotypes qui ont gangréné la fiction américaine et qu’il fait voler en éclats. Ce sont ici non pas les personnages noirs mais les habitants blancs du Mississippi qui sont décrits par des successions de clichés, de leur façon de se vêtir à celle dont ils s’expriment. Ces retournements permanents de situation – par lesquels les Blancs se pensent victimes de l’Histoire… – représentent pour Everett une manière de revenir, avec cet humour noir grinçant qui le caractérise, sur un siècle d’histoire américaine.
Sur les lynchages (qui comptent, précise-t-il, les violences policières), sur l’élection de Trump, sur le Ku Klux Klan et l’alt-right, mais aussi sur la force et la puissance du mouvement Black Lives Matter. À neuf mois de la prochaine élection américaine, les questions complexes que pose ce roman sur le besoin de réparation et la vengeance n’ont jamais été autant d’actualité.
Châtiment de Percival Everett (Actes Sud), traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut, 368 pages, 22.50 euros. En librairie.
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