[Spécial écrivaines oubliées 3/9] Au début du XIXe siècle, cette jeune autrice grecque fut forcée de se détourner de l’écriture pour le mariage. Elle n’y survivra pas.
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Tenir ce livre entre ses mains relève du miracle, tant son autrice aura été empêchée dans sa vocation littéraire tout au long de sa courte vie, et même après sa mort. Élevée dans une famille grecque aristocratique, Elisavet Moutzan-Martinengou (1801-1832) a vécu recluse dès ses 8 ans, comme l’imposait la tradition sur l’île de Zakynthos, où les filles n’avaient aucun droit de sortie avant leur mariage.
Une échappatoire qui, pourtant, n’enchante guère cette adolescente à l’esprit libre, assoiffée de lecture, pour qui la perspective de se faire nonne vaut encore mieux que celle de devenir esclave domestique. En attendant une hypothétique entrée au monastère – dont la porte restera désespérément close, ses parents s’opposant farouchement à ce projet –, elle apprend l’italien en autodidacte, se met à traduire dans cette langue tous les livres qui lui tombent sous la main, puis commence à écrire ses propres textes.
Si certaines de ses fables ou certains de ses dialogues sont reproduits dans cette Autobiographie, où elle détaille son processus d’apprentissage et se projette dans la perspective d’être un jour publiée et reconnue, la quasi-totalité de son œuvre est aujourd’hui perdue.
Comme une condamnation à mort
Jamais imprimés en son temps malgré tous ses stratagèmes pour les faire circuler et les critiques positives de ses rares lecteurs (son père, des prêtres fréquentant la famille, quelque oncle lointain), ses vingt-huit pièces de théâtre, ses contes moraux et ses deux traités consacrés à la poétique et à l’économie ont à jamais disparu lors du grand tremblement de terre qui a frappé l’île de Zakynthos en 1953.
Elle est le témoignage vivant de l’invisibilisation des femmes à travers les âges
Voilà qui rend cette autobiographie, publiée pour la première fois en 1881 par le fils de l’autrice (qui en a d’ailleurs censuré certains extraits), d’autant plus précieuse. Elle est le témoignage vivant de l’invisibilisation des femmes à travers les âges.
La lire est donc le meilleur moyen de venger cette écrivaine dont la réduction au silence et à l’étroitesse de la vie conjugale résonne aujourd’hui comme une condamnation à mort. Elle conclut en effet ses mémoires à la veille de son mariage, à 31 ans. Elle décédera l’année suivante quelques jours après la naissance de son fils.
Autobiographie – Mémoires d’une recluse d’Elisavet Moutzan-Martinengou (Cambourakis), traduit du grec et postfacé par Lucile Arnoux-Farnoux, 104 p., 15 €.
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