Réédition de l’ancêtre de « Cinquante nuances de Grey »: le « 9 semaine1/2 d’Elizabeth Mc Neill, relégué à l’ombre de son adaptation ciné. Ou comment écrire du vrai SM.
C’est ce mystérieux roman paru en 1979, écrit par une femme tout aussi mystérieuse, qui a inspiré le film hollywoodien le plus sulfureux des années 80, signé Adrian Lyne, avec Mickey Rourke et Kim Basinger. « Si vous n’avez jamais crié, si vous n’avez jamais perdu tout contrôle, vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c’est. » La littérature sert aussi à ça : faire l’expérience, au plus près, de ce que l’on ne connaît pas.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
Dès la première phrase de 9 semaines ½, on comprend ce à quoi on a affaire : « La première fois que nous avons couché ensemble, il m’a tenu les mains derrière la tête », annonce la narratrice à son journal intime. Une page plus tard, son amant lui envoie treize roses rouges. Elle commence « déjà à tomber amoureuse ». Et d’entrée de jeu, nous voilà au coeur de la problématique de l’un des romans les plus sulfureux des dernières décennies : le sexe sadomasochiste, oui, c’est certain, mais surtout l’amour qui l’entoure, l’autorise, l’encourage même. Semaine après semaine, nuit après nuit, cette narratrice sans nom, « femme d’affaires expérimentée » le jour, devient le sujet consentant d’une ribambelle de manipulations perverses et fétichistes. Son amoureux la ligote, l’habille, la déshabille, la lave, la nourrit, la bat, lui fait l’amour aussi. Tout cela est décrit sans une once de trivialité, et on pense forcément à la pauvreté langagière de Cinquante nuances de Grey et à la vulgarité à laquelle condamne le manque de talent quand il s’agit de sexualité.
L’abdication de soi
Mais ce qui rend intéressante la torride confession d’Elizabeth McNeill, c’est l’amour partagé, qui permet la brutalité. « Je n’ai jamais autant parlé avec quelqu’un », confie-t-elle. Quand elle tombe malade, son amant sadique la borde, la berce et la soigne pendant plusieurs jours. Difficile de savoir si le sentiment dicte la soumission ou si le plaisir préside aux émotions. Toujours est-il que l’idée d’être privée de la source de sa peur et de son plaisir, de sa douleur et de son désir, dicte son objectification. « Il ne restait que le luxe voluptueux d’être la spectatrice de ma propre vie, d’abandonner absolument mon individualité, de jouir sans réserve de l’abdication de ma personnalité », écrit la narratrice, tentant de s’expliquer le basculement.
Développée en préface, l’histoire de la publication du livre fait étrangement écho à cette dernière phrase. Paru en 1979 sous la signature d’Elizabeth McNeill, le roman est en réalité l’oeuvre d’Ingeborg Day. Son identité reste secrète jusqu’en 1983, et si on en sait un peu plus aujourd’hui sur Day (elle évoqua, dans Ghost Waltz, son autobiographie parue en 1980, son enfance en Autriche et le passé nazi de son père), le mystère sur la genèse de 9 semaines ½ reste entier. Suicidée en 2011, Ingeborg/ Elizabeth a emporté son secret dans la tombe. Reste ce mystérieux roman culte et son adaptation cinématographique. A lire, à voir.
9 semaines ½ (Au Diable Vauvert), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Antoine Berman, 208 pages, 15 €
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}